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Entretien

Des progrès fragiles dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme

Le Fonds mondial de lutte contre les trois pandémies vient de publier son rapport sur l’année écoulée. L’organisation note des progrès notables dans le combat contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, mais la pandémie de Covid-19 pourrait les réduire à néant. Françoise Vanni est la directrice des relations extérieures du Fonds mondial.

Une fresque murale à Kigali qui promeut la lutte contre le VIH. (image d'illustration)
Une fresque murale à Kigali qui promeut la lutte contre le VIH. (image d'illustration) TONY KARUMBA / AFP
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RFI : Le Fonds mondial contre le VIH/Sida, la tuberculose et le paludisme publie son rapport sur l’année écoulée. Quels en sont les principaux éléments ?

Françoise Vanni : Nous avons obtenu de bons résultats. Depuis la création du Fonds mondial en 2002, nous estimons que 38 millions de vies ont été sauvées. Sur les seuls résultats de 2019, 6 millions de vies supplémentaires ont été sauvées par rapport à l’année précédente. Nous avons enregistré de nets progrès en matière de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.

Nous mettons ainsi en avant dans ce rapport les progrès réalisés en matière d’accès aux anti-rétroviraux pour les personnes qui vivent avec le VIH/Sida : presque 20 millions de personnes, ce qui permet d’avoir une couverture à 69%. C’est un progrès remarquable sur ces dernières années.

De la même façon, nous avons des progrès importants en matière de personnes traitées contre la tuberculose. Nous sommes arrivés en 2019 à 5,7 millions de personnes diagnostiquées et traitées. Nous sommes sur la voie des objectifs fixés par la communauté internationale lors du sommet de haut niveau sur la tuberculose il y a un an et demi.

Enfin, en ce qui concerne le paludisme, nous enregistrons également des progrès, avec 160 millions de moustiquaires imprégnées distribuées. Cela permet à environ 320 millions de personnes d’être concernées par cette distribution et représente une couverture de la population de 58% contre 34% en 2010.

Nous sommes très satisfaits de ces résultats mais en même temps, nous sommes extrêmement inquiets, car ils risquent d’être réduits à néants en quelques mois avec la pandémie de Covid-19. Il s’agit donc à la fois d’un rapport de résultats positifs et d’un cri d’alarme. La communauté internationale doit se mobiliser très rapidement pour à la fois lutter contre le Covid-19 et protéger les résultats obtenus par des décennies d’efforts dans la lutte contre le VIH/Sida, la tuberculose et le paludisme.

Vous annoncez de bons résultats, notamment en matière de lutte contre le VIH/Sida. Pourtant, dans son rapport annuel l’Onusida a tiré une fois de plus la sonnette d’alarme : les objectifs fixés ne seront pas atteints. Où se situe le curseur ?

Nous avons les mêmes données que l’Onusida. Nos progrès sont par rapport à 2019. Un certain nombre de défis que nous avions ont connu des progrès significatifs, par exemple en matière de prévention du VIH/Sida auprès des jeunes filles en Afrique sub-saharienne. En revanche, nous sommes loin des objectifs fixés par la communauté internationale, c’est-à-dire le 90-90-90. 90% des personnes malades doivent connaître leur statut, 90% d’entre elles doivent être sous traitement et 90% de ces dernières doivent contrôler leur charge virale.

Nous avions dit l’an dernier que nous étions en dehors des clous. Nous le sommes toujours, le rapport de l’Onusida est correct. Nous avons cependant pu mener avec nos partenaires un certain nombre d’intervention qui ont donné des résultats. En matière de prévention, en matière de ciblage des populations les plus vulnérables comme les jeunes, les jeunes filles, les populations clefs … Nous avons déployé des efforts importants.

Nous sommes maintenant dans le contexte du Covid-19 et nous sommes tout à fait en ligne avec nos partenaires de l’Onusida. La pandémie menace très directement les progrès qu’on a pu rencontrer dans la lutte contre le VIH/Sida. Nous avons réalisé un sondage dans une centaine de pays dans lesquels le Fonds mondial investi. Environ 75% de la prestation de service dans les programmes que le Fonds soutient ont connu une forme d’interruption significative ou très importante au cours des derniers mois.

Les programmes de lutte contre le VIH sont les premiers touchés, en particulier ceux de prévention : il s’agit souvent de contact en porte à porte, des échanges de prévention, personnalisés. Tout cela est menacé par le Covid-19 et les personnes n’osent plus se rendre dans les centres de santé. Les personnels de santé communautaires qui n’ont pas de protection ne peuvent plus faire le travail de prévention.

Il y a donc un grand danger que tous les progrès soient anéantis en quelques mois. Les pronostics les plus pessimistes voient le nombre de morts du VIH/Sida doubler dans les douze prochains mois si on ne réagit pas à temps.

Il faut lutter contre le Covid-19 lui-même et faire en sorte que les programmes contre le VIH/Sida s’adaptent. Il faut que les associations communautaires aient accès aux technologies pour communiquer si elles ne peuvent pas se déplacer. Il faut que les patients aient accès à des traitements sur une durée plus longue s’ils ne peuvent pas retourner au centre de santé aussi régulièrement que d’habitude et ainsi de suite. Nous savons ce qu’il faut faire mais les financements manquent cruellement.

Dans ce contexte, de quelle manière le Fonds mondial adapte-t-il ses programmes ?

Le Fonds mondial a réagi assez vite, dès mars. Nous avions une certaine flexibilité dans les subventions déjà existantes, ce qui nous a permis de livrer 500 millions de dollars que les pays pouvaient déployer pour répondre au Covid-19. Par la suite, nous avons dégagé 500 millions supplémentaires. Au total, 1 milliard a donc été mis sur la table assez rapidement. Ils ont à l’heure actuelle été très largement déployés : 722 millions de dollars ont été utilisés par les pays selon les besoins.

Ils ont servi à réaliser principalement trois choses. D’une part, lutter contre le Covid-19 lui-même avec le diagnostic, le traçage, la protection des personnels de santé. Le Fonds mondial les soutient depuis des années, en particulier les personnels de santé de communauté qui sont en première ligne. Nous avons l’habitude avec nos partenaires locaux d’être aux côtés de ce genre d’intervention. Cela représente la moitié des financements que nous avons déployés depuis le début de la pandémie. Un gros tiers a servi à adapter les programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.

Cela consiste par exemple à changer les modalités de distribution des moustiquaires : on ne peut plus les distribuer sur les places des villages, il faut faire en sorte que cette distribution ne fasse pas courir aux personnes le risque d’attraper le Covid-19. Nous avons adapté le déploiement des traitements pour les personnes qui en ont un au long cours, en leur donnant des doses pour 3 à 6 mois plutôt que pour du court terme. Toutes ces adaptations ont pu être financées par le Fonds mondial et être mises en œuvre par ses partenaires.

Enfin, il y a tout un volet concernant le renforcement du système de santé lui-même. Typiquement, les laboratoires ont été surchargés ; nous avons permis à nos partenaires d’accéder à un financement supplémentaire pour compléter leur matériel. Par exemple, les machines de diagnostics du Covid-19 sont les mêmes que pour la tuberculose. Pour éviter que les programmes contre cette dernière soient démunis avec une machine qui pourrait être redéployée pour le Covid-19, il a tout simplement fallu en acheter de nouvelles pour satisfaire à tous les besoins.

Le but était de parer au plus urgent. Nous avons calculé que pour poursuivre ce travail, nous avions besoin de 5 milliards de dollars supplémentaires. Malheureusement, nous en sommes à ce stade très loin, et nous arriverons au bout de ce milliard à la fin du mois de septembre. Nous sommes inquiets quant à la poursuite de ces actions.

Il y a moins d’un an s’est déroulée à Lyon la conférence de reconstitution du Fonds mondial. Les Etats se sont engagés à verser 14 milliards de dollars pour les trois prochaines années. Craignez-vous que cette promesse ne soit pas tenue et que les pays gardent finalement l’argent pour faire face au Covid-19 ?

Les Etats qui se sont engagés à Lyon nous sont fidèles, ils savent que le Fonds mondial est un outil efficace pour lutter contre les trois pandémies et contrer les effets du Covid-19. Nous n’avons donc aucune indication que nos donateurs n’honoreront pas leurs promesses. Mais les besoins se sont accrus. Nous étions sur la bonne voie avec les résultats obtenus l’année dernière. Ces 14 milliards de dollars étaient la cible pour travailler à la bonne échelle durant les trois années qui viennent. Le Covid-19 a fait voler en éclat ces hypothèses de travail.

Le Fonds mondial, mais également les différents partenaires ont besoin de plus d’argent. Nous sommes unis dans la coalition ACTA pour le déploiement des nouveaux outils de lutte contre le Covid-19. Dans le cadre de cette coalition, nous avons mis ensemble les besoins de financement et de déploiement, en matière de vaccin, de traitement, de diagnostic, de matériel de protection des personnels de santé.

Nous constatons ainsi que les financements sur la table ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux et de l’urgence. Si on se base sur l’ensemble des dimensions de lutte contre le Covid-19, nous aurions besoin de 35 milliards de dollars pour les 12 prochains mois. La question des financements reste donc posée et nous pensons qu’étant donné l’échelle de la crise actuelle il faudra sortir et aller au-delà des mécanismes de l’aide au développement. Il faut pour mettre en œuvre des mécanismes innovants et plus ambitieux pour répondre aux besoins auxquels nous faisons face.

Peut-on envisager la création d’un Fonds mondial contre le Covid-19 ?

Nous sommes en pleine crise. Tous les acteurs de la santé sont d’accord pour dire que créer une nouvelle institution n’est pas du tout une bonne idée. Au contraire, nous essayons de coaliser tous les acteurs impliqués. Il y a eu deux grandes conférences de donateurs convoquées à l’initiative de l’Union européenne. Elles ont donné un certain nombre de résultats en termes de financements, mais qui restent très en deçà des enjeux.

Nous allons nous mobiliser avec nos partenaires de la coalition ACTA pour appeler les donateurs à aller plus loin. En ce sens, nous allons utiliser les plateformes déjà existantes : le G20, l’Assemblée générale des Nations unies, ou encore les réunions le mois prochain de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Il faut aller au-delà du paradigme habituel où l’on prend à Paul pour habiller Jacques dans l’aide publique au développement. Ce serait de toutes façons gravement insuffisant pour mettre fin à cette épidémie. On sait que si on ne met pas fin à l’épidémie partout, personne ne sera à l’abri. Nous avons besoin d’une réponse coordonnée à l’échelle mondiale pour lutter efficacement contre ce virus et s’assurer que les plus vulnérables ne soient pas laissés pour compte.

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