L’heure est venue de mettre les bouchées doubles contre le paludisme

24 avril 2018 par Peter Sands, Directeur exécutif

Nous avons accompli des progrès remarquables dans la lutte contre le paludisme : depuis l’an 2000, le nombre de décès a chuté de 48 pour cent, celui des cas de 18 pour cent. Il n’en demeure pas moins que la maladie continue de tuer près de 450 000 personnes chaque année, dont un enfant en bas âge toutes les deux minutes. De plus, la tendance à la baisse du nombre de décès et de cas de paludisme a désormais marqué le pas. Nous risquons de voir la maladie reprendre avec son cortège de décès supplémentaires. Compte tenu de l’enjeu, nous ne pouvons pas accepter que cela se produise.

Que faudra-t-il pour enrayer cette menace qui pèse sur la santé mondiale ? Nous avons besoin de plus d’innovation et de plus d’argent. À titre d’exemple, les moustiques résistent de plus en plus aux insecticides à base de pyréthrinoïdes qui sont les plus couramment utilisés pour les moustiquaires. Le Fonds mondial s’associe donc à Unitaid et à d’autres partenaires pour encourager la mise sur le marché de moustiquaires de prochaine génération qui s’appuieraient sur de nouvelles associations d’insecticides.

Autre exemple : la chimioprévention du paludisme saisonnier a ouvert de nouvelles perspectives dans les pays où la transmission dépend fortement de la saison, comme le Nigeria, le Burkina Faso, le Tchad, le Niger et le Mali. Nous pouvons ainsi sauver la vie de dizaines de milliers d’enfants en leur administrant des antipaludéens à titre préventif lorsque le risque est plus grand. Une telle stratégie permettrait également d’alléger le poids qui pèse sur des systèmes de santé saturés.

Il va de soi également qu’un vaccin antipaludique pourrait radicalement changer la donne, de sorte que nous participons à un vaste partenariat public/privé qui soutient les essais, même s’il faudra encore attendre au minimum quelques années avant d’avoir un vaccin efficace.

Tout cela nécessite de l’argent. Selon les estimations, 2,7 milliards de dollars US ont été investis contre le paludisme en 2016, dont environ un milliard provenait du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Or, pour en finir avec la maladie, ce serait plutôt 5 à 6 milliards de dollars US qu’il nous faudrait dépenser chaque année. Pour venir à bout d’une maladie infectieuse comme le paludisme, vous devez frapper fort – et continuer de frapper jusqu’à ce qu’elle ait disparu. Des progrès considérables ont été accomplis entre 2000 et 2015 pour réduire la charge de morbidité du paludisme. Néanmoins, depuis 2015, la tendance s’est inversée, au point qu’à certains endroits, nous avons été à un cheveu d’éliminer le paludisme avant de le voir repartir de plus belle en profitant d’une baisse de l’attention et des financements.

Non pas que la difficulté soit ignorée. Ainsi, le Royaume-Uni a annoncé le 17 avril qu’il allait apporter 100 millions de livres sterling supplémentaires en contrepartie de contributions privées. Néanmoins, ce qui fera véritablement bouger les choses, c’est une augmentation des financements de la part des pays touchés eux-mêmes. Pour se débarrasser du paludisme, il faudra investir durablement dans les systèmes de santé et, au final, l’aide extérieure est loin de pouvoir régler tous les problèmes. S’il l’on veut des systèmes de santé pérennes et résistants – et si l’on souhaite venir à bout du paludisme –, il est primordial d’investir les impôts locaux dans la santé des populations.

Les ministres des finances peuvent croire qu’un important déficit de financement est insurmontable, mais les chiffres sont bien modestes dès lors qu’on les compare aux gigantesques bénéfices que cela suppose. Un recul du paludisme, ce sont moins d’enfants et de mères qui meurent, moins de journées manquées à l’école ou au travail, une main-d’œuvre plus productive, une croissance du PIB et des sociétés plus stables. Chaque année, le paludisme coûte des milliards de dollars au continent africain et dans certains pays fortement touchés, il peut représenter jusqu’à 40 pour cent des dépenses de santé publique. Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé, le bénéfice économique dégagé par l’élimination du paludisme d’ici 2030 pourraient s’élever à 4 000 milliards de dollars US. Les régions qui ont fait reculer le paludisme ont enregistré une croissance économique cinq fois supérieure à celle des régions d’endémie palustre.

Il s’agit là de raisons économiques aussi imparables que pragmatiques pour débarrasser notre planète du paludisme, de sorte que la communauté de la santé internationale se doit d’être tout aussi pragmatique pour trouver de l’argent. Cela suppose qu’il faille aborder la question de la fiscalité et des priorités budgétaires. Ramenés en pourcentages du PIB, les niveaux des dépenses publiques allouées à la santé dans bien des pays parmi les plus durement touchés sont en-deçà de ce qu’il faudrait pour garantir un système de santé résistant qui assure un accès universel. Cela s’explique par une insuffisance globale des prélèvements fiscaux, mais aussi par le fait que la santé obtient une part bien trop modeste du budget public. Pour partir à l’assaut du paludisme, mais aussi du VIH et de la tuberculose, nous devons corriger ce problème.

En tant que partenariat entre le public et le privé et que principale source de financement de la lutte contre le paludisme, le Fonds mondial occupe une position idéale pour jouer un rôle de catalyseur dans la mobilisation des moyens nécessaires. À titre d’exemple, au travers de mécanismes de cofinancement, il a pu tirer parti de 355 millions de dollars US apportés par les donateurs pour générer deux milliards de dollars US sous la forme de financements nationaux. De même, grâce à des partenariats avec le secteur privé, nous attirons de nouvelles sources de financements, consolidons les chaînes d’approvisionnement et améliorons les systèmes de données.

La lutte contre le paludisme est une extraordinaire réussite en termes de retour sur investissement. Un financement soutenu, l’élargissement des interventions de contrôle efficaces, ainsi que des partenariats novateurs ont permis de prévenir des millions de décès. Cependant, nous devons maintenant mettre les bouchées doubles. Dans le cadre des Objectifs de développement durable, les dirigeants de la planète se sont engagés à en finir avec le paludisme d’ici 2030. Ce but est réalisable, mais uniquement si nous agissons de façon résolue – et maintenant.

La version anglaise de cet article a été publiée en premier lieu dans le Financial Times.