« Abattre chaque obstacle » : mon parcours de militante anti-VIH

20 août 2018 par Kate Thomson, directrice du département communautés, droits et genre au Fonds mondial

On m’a diagnostiqué une infection à VIH en janvier 1987 – j’avais 26 ans et j’étais la première femme à être diagnostiquée séropositive à l’hôpital où j’ai subi mes examens. À ce stade, il m’a fallu deux mois ne serait-ce que pour prendre contact avec une autre femme vivant avec le VIH. On ne trouvait quasiment pas d’informations et aucun soutien, de sorte que lorsque le diagnostic était posé, nous devions tout faire par nous-mêmes. Nous avons insisté pour obtenir des soins de santé de base et des soins palliatifs ; nous avons éduqué nos prestataires et nous avons lutté contre les intérêts politiques et économiques qui nous privaient de droits dont on estime aujourd’hui qu’ils constituent le strict minimum. Pourtant, je dirais que je me suis engagée dans le militantisme à reculons, comme un moyen de canaliser ma colère, de faire changer les choses et de mettre de l’ordre dans le chaos qu’était devenue ma vie.

C’est l’absence de ressources axées sur les femmes et le besoin de partager avec d’autres qui ont amené un groupe d’entre nous à créer une organisation destinée aux femmes vivant avec le VIH. Nous menions notre action en association étroite avec d’autres réseaux communautaires de personnes vivant avec le VIH – à l’époque presque exclusivement masculins – pour plaider en faveur des droits, de la recherche et, au final, d’un traitement. Nous n’étions pas unis que par un diagnostic, mais aussi par les amis et les collègues que nous voyions mourir chaque semaine. Pendant des années, nous avons essayé de surmonter cette douleur immense jusqu’à ce qu’arrivent les traitements antirétroviraux.

Avec le recul, l’arrivée d’un traitement efficace a marqué un tournant pour moi. L’annonce faite en 1996 à la Conférence internationale sur le sida de Vancouver a donné une lueur d’espoir à un groupe de militants anti-VIH épuisés. Je me rappelle avoir pensé : « Est-ce que cela veut dire que je vais vivre ? » Et ça a été le cas. On m’a mise sous traitement, ce qui n’était pas chose facile du fait des nombreux effets secondaires, mais ma santé, tout comme celle de nombreuses autres personnes, s’est radicalement améliorée.

Pour beaucoup d’entre nous en Europe occidentale, en Amérique du Nord et en Australie, ça a été une véritable bénédiction. Pourtant, si notre agonie s’était achevée, nos amis et collègues de l’hémisphère Sud, qui s’étaient tout autant battus que nous pour en arriver là, n’avaient pas le même accès aux traitements. Cela a créé un fossé énorme au sein de la famille mondiale des militants vivant avec le VIH et a recentré notre action sur la notion du traitement pour tous.

La question des disparités mondiales en matière d’accès reste une priorité de notre action collective et de notre militantisme. Je pense que certains moments, dans ma propre vie, ont fait la différence. En 2005, alors que je travaillais à l’ONUSIDA, nous avons créé un groupe appelé UN+ et nous sommes parvenus à organiser une rencontre avec le nouveau Secrétaire général des Nations Unies, Ban-Ki Moon, peu de temps après son entrée en fonction. Dix d’entre nous, représentants UN+, se sont rendus à New York pour une réunion de 30 minutes dont l’ordre du jour avait été fixé à l’avance.

Nous avons pu mettre à profit le temps imparti en faisant avec lui le bilan de toute une série de questions allant du rejet social et de la discrimination à la propriété intellectuelle, en passant par le traitement du VIH, la co-infection à l’hépatite C, ou encore les problèmes liés aux droits des populations LGBTI au sein de l’ONU et en dehors du système.

À l’issue de cette réunion, le Secrétaire général a publié un communiqué de presse dans lequel il expliquait avoir eu de nombreuses réunions au cours de sa carrière, avec des chefs d’États, des rois et des reines, mais que celle-là étaient l’une des plus importantes. Nous étions particulièrement fiers d’avoir pu influencer le calendrier politique par notre militantisme.

Les militants plus âgés, comme moi-même, qui ont assez de chance pour avoir survécu aussi longtemps, voient se poursuivre l’héritage de leur militantisme, mais sous des formes très différentes. L’accès au traitement s’est étendu à des endroits comme l’Afrique subsaharienne et l’Asie. Bien entendu, nous sommes encore loin de l’accès universel et il reste beaucoup à faire pour y parvenir. Néanmoins, la génération actuelle de militants anti-VIH forme un ensemble bien plus large et plus connecté. La technologie a ouvert l’accès aux jeunes qui veulent s’engager contre le VIH en leur permettant d’engager le dialogue et d’être entendus. Le militantisme se déploie avant tout dans les médias sociaux. On est à mille lieues de l’époque où le courrier postal, la télévision, la radio et les téléphones fixes – pour ceux qui en avaient – étaient les seuls moyens d’échanger des idées et de communiquer.

Malgré l’interdépendance qui prévaut à l’ère du numérique, j’observe un manque de diversité dans la représentation des jeunes militants et je m’en inquiète. Dans certains pays, les jeunes qui militent sont souvent les plus privilégiés et ne sont pas nécessairement issus des communautés les plus touchées, comme les jeunes consommateurs de drogues, les jeunes travailleurs du sexe, les adolescentes en rupture scolaire et les jeunes homosexuels et transsexuels. J’aimerais que les jeunes redoublent d’efforts pour ouvrir leur action à tous les genres et pour en garantir la justice économique.

Le militantisme des jeunes constitue un pouvoir extraordinaire susceptible de continuer à changer le monde. Les jeunes militants doivent continuer à mettre en place un mouvement anti-VIH qui soit ouvert à tous, collaboratif et en phase avec les besoins de celles et ceux qui sont le plus marginalisés parmi nous, tout en nouant des liens avec d’autres communautés extérieures à la question du VIH et qui font face à l’oppression, à des violations des droits humains et à un manque d’accès aux soins de santé. La capacité qu’ont les jeunes à faire preuve d’innovation et à se servir des nouvelles technologies non seulement pour parler de leurs expériences, mais aussi pour tisser des liens et pour entendre la diversité des points de vue sur le terrain, m’emplit d’espoir pour l’avenir. Ma génération a acquis de haute lutte le droit de s’asseoir à la table, mais l’heure est venue d’y ajouter des sièges, de l’ouvrir pour faire de la place à des communautés encore plus diverses et d’étendre son influence, tandis que nous abattons chaque obstacle qui se dresse sur la route de la concrétisation des droits humains pour tous, indépendamment de qui nous sommes et de l’endroit où nous vivons.

Cet article s’inscrit dans le cadre de la campagne #IASONEVOICE de la Société internationale du sida qui met en avant les histoires, les opinions et les points de vue des membres de la société.