Questions/Réponses : Recherche des millions de cas manquants de tuberculose

21 mars 2019 par Eliud Wandwalo, coordonnateur principal de la lutte contre la tuberculose au Fonds mondial

Chaque année, dix millions de personnes environ contractent la tuberculose, mais six millions seulement sont identifiées. Les autres cas sont « manquants ».

Une multitude de raisons peuvent l’expliquer, selon le contexte et le pays. Certains patients n’ont peut-être pas facilement accès aux services de prise en charge de la tuberculose et aux services de santé en général. Dans certains pays, les services liés à la tuberculose ne sont pas disponibles dans tous les établissements (ils peuvent ainsi être assurés par les établissements du haut de la pyramide sanitaire jusqu’aux districts, mais pas dans les centres de santé primaire). Parfois, les agents de santé sont en nombre insuffisant ou ne possèdent pas les compétences et la formation appropriées pour diagnostiquer la tuberculose.

Pourquoi est-il important de trouver ces patients ?

Parce qu’ils continueront d’infecter d’autres personnes et qu’alors, nous ne pourrons pas lutter contre la maladie et parvenir à l’éliminer. Une personne tuberculeuse qui n’est pas dépistée pendant un an peut infecter entre 15 et 20 personnes. Il est donc essentiel de les trouver, car c’est l’un des moyens les plus sûrs de couper court à la transmission dans les communautés.

Comment le Fonds mondial contribue-t-il à trouver les patients non identifiés ?

Le Fonds mondial (un partenariat entre les gouvernements, la société civile, le secteur privé et les personnes touchées par les maladies) mobilise 65 % du financement international alloué aux interventions et programmes stratégiques de lutte contre toutes les formes de la tuberculose, notamment pharmacorésistantes.

Entre 2018 et 2020, nous avons également décidé de porter une attention spéciale à 13 pays qui concentrent environ 75 % de tous les cas manquants de tuberculose à l’échelle mondiale : l’Afrique du Sud, le Bangladesh, l’Inde, l’Indonésie, le Kenya, le Mozambique, le Myanmar, le Nigéria, le Pakistan, les Philippines, la République démocratique du Congo, la Tanzanie et l’Ukraine.

Que faites-vous pour identifier les cas manquants de tuberculose ?

Nous donnons à ces pays des fonds supplémentaires — 125 millions de dollars US — afin de les aider à trouver les personnes atteintes de tuberculose manquant à l’appel. Nous travaillons également avec des partenaires tels que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Partenariat Halte à la tuberculose, afin de fournir à ces pays les outils et l’appui technique dont ils ont besoin pour identifier les cas manquants de tuberculose conformément aux objectifs.

Ces collaborations sont essentielles. Nous ne pouvons pas éliminer la tuberculose d’un point de vue purement médical. Pour y parvenir, nous devons nous adjoindre les forces d’autres parties prenantes. Par exemple, dans certaines contrées d’Asie, les cliniques privées non réglementées ne sont pas tenues d’enregistrer les patients atteints de tuberculose de la même manière que les hôpitaux publics. En collaborant étroitement avec le secteur privé, nous sommes mieux à même d’identifier les personnes tuberculeuses venues se faire dépister dans les établissements privés.

Une meilleure utilisation des données pourrait-elle contribuer à identifier les patients manquants ?

Oui. L’absence de données adéquates entrave l’identification des cas manquants de tuberculose et la lutte contre la maladie en général. Parmi les pays touchés, très peu possèdent des systèmes de données capables d’identifier les patients manquant à l’appel et d’analyser ce qui dissuade ceux-ci de ne pas accéder aux services de soins. La plupart de ces pays utilisent encore des registres papier, en particulier en bout de chaîne dans les centres de santé, ce qui complique le partage d’information pouvant aider l’identification des cas non signalés. Nous nous employons à renforcer les systèmes de données afin de garantir la disponibilité de données en temps réel également. Enfin, nous devons renforcer les capacités d’analyse des données, de manière que les médecins sachent qui vient recevoir des soins, où les épidémies sont situées, etc.

L’utilisation des outils technologiques pourrait-elle être améliorée ?

L’utilisation de la technologie est au centre des initiatives d’identification des millions de cas manquants. Nous déployons des outils de diagnostic moléculaire tels que GeneXpert, un appareil qui garantit une identification rapide et fiable des patients atteints de tuberculose, notamment des formes pharmacorésistantes de la maladie. Nous aidons par ailleurs les pays à utiliser les technologies numériques, dont les téléphones portables, pour communiquer avec les patients. Dans certains endroits, les patients n’ont ainsi plus besoin de se rendre quotidiennement dans un centre de santé pour recevoir leurs médicaments. Ils peuvent les prendre chez eux et poster une vidéo afin de montrer aux agents de santé qu’ils ont suivi leur traitement. Ce genre d’innovation a un impact réel. 

Selon vous, quelles sont les chances d’identifier ces « millions de cas manquants » ?

Nous observons déjà d’excellents résultats. En Inde par exemple, le nombre de patients tuberculeux « identifiés » a fortement augmenté grâce au partenariat avec le secteur privé. Nous avions déjà établi des partenariats avec ce secteur par le passé, mais ils étaient plutôt unilatéraux. Cette fois, nous veillons à ce que les acteurs soient placés au cœur de la collaboration et que les initiatives fassent sens pour leurs activités. Nous enregistrons également des progrès très encourageants dans de nombreux pays d’Afrique, notamment en Tanzanie, au Mozambique et au Kenya.

Nous avons besoin de financements supplémentaires pour atteindre l’objectif de l’OMS visant à éliminer la tuberculose à l’horizon 2030. Les gouvernements doivent accroître leurs contributions au financement de la lutte contre la tuberculose et la communauté internationale doit intensifier la riposte aux épidémies, dont la tuberculose, en soutenant le Fonds mondial. En octobre 2019, le Président Macron accueillera la sixième Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial à Lyon. Elle a pour but de mobiliser au moins 14 milliards de dollars US pour aider à sauver 16 millions de vies, éviter 234 millions d’infections et remettre le monde sur la voie de l’élimination de ces maladies.

Le présent entretien a paru pour la première fois sur le site Media Planet