« Nous sommes celles qui en finiront avec le VIH »

05 juin 2019

Les prodigieuses avancées réalisées contre le VIH dans le monde ne l’empêchent pas de continuer à frapper de façon disproportionnée les jeunes femmes et les filles. Ainsi, en Afrique subsaharienne, elles sont deux fois plus nombreuses à être infectées par le virus que les garçons et les hommes du même âge. Dans les pays les plus durement touchés, c’est six fois plus.

À côté de quoi les instances internationales chargées de la santé passent-elles lorsqu’il s’agit du soutien à apporter aux jeunes femmes et aux filles pour en finir avec le VIH ? À la conférence Women Deliver organisée à Vancouver, nous nous sommes entretenus avec des ambassadrices HER Voice pour avoir leurs réponses à cette question. HER Voice est un fonds qui aide les adolescentes et les jeunes femmes à surmonter les difficultés logistiques qui les empêchent de participer aux décisions portant sur des questions qui touchent leur santé.

Sibulele Sibaca – Ambassadrice HER Voice, Afrique du Sud

Le sida m’a pris mes parents alors que j’étais adolescente, faisant de mon frère et de moi des orphelins. J’utilise ce qui m’est arrivé pour combattre le rejet lié au VIH, pour montrer aux jeunes femmes et aux filles que leur histoire ne s’arrête pas avec le VIH. Avec HER Voice, nous soutenons des organisations communautaires qui défendent les besoins des jeunes femmes et des filles.

Nous sommes celles que le VIH frappe de manière disproportionnée ; nous sommes celles qui en finiront avec le VIH. Ce dont nous avons besoin de la part de nos gouvernements et de toutes les organisations présentes, c’est de pouvoir nous asseoir avec eux autour de la table. Il est désormais temps d’impliquer les jeunes femmes et les filles. Nous ne voulons pas arriver dans les programmes au moment de la mise en œuvre, nous voulons les créer. Nous voulons être présentes dès le début. Il arrive que des personnes plus âgées nous regardent en pensant que nous sommes folles, mais nous avons besoin de cette énergie chaotique pour en finir avec le VIH. Si nous passons à côté de cela dans cette conférence aussi grande que coûteuse, nous raterons l’occasion d’utiliser l’énergie de la jeunesse pour en finir avec le VIH.

Grace Ngulube – Ambassadrice HER Voice, Malawi

Je suis une jeune femme qui vit avec le VIH au Malawi. J’apporte un soutien en tant que pair à des jeunes vivant avec le virus.

Cela fait longtemps que je vis et que je travaille dans des communautés isolées. Je ne m’inquiète pas pour les jeunes femmes et les filles des zones urbaines, mais bien pour celles des régions difficiles d’accès. Les jeunes des villes ont internet ; ils ont accès aux réseaux sociaux, à l’information et aux services. Le rejet social et l’isolement auxquels se heurtent certains des jeunes avec lesquels je travaille dans les zones rurales du Malawi sont incroyables.

À cette conférence, beaucoup parlent de droits en matière de santé sexuelle et reproductive, de VIH et d’hygiène menstruelle, mais où sont les jeunes qui sont le plus vulnérables face à ces problèmes ? Où sont les jeunes femmes et les filles des communautés les plus isolées ? On nous parle d’acronymes – 90-90-90, U=U (pour « Indétectable = non transmissible »), entre autres – mais ces notions n’ont aucune signification pour les jeunes femmes et les filles de ces régions. Elles ne les comprennent pas. Certaines de ces jeunes femmes n’ont pas pu venir jusqu’ici. Beaucoup d’entre elles ne parlent ni anglais, ni français.

Il existe véritablement un fossé entre d’une part les gouvernements, les organisations, les défenseurs et les jeunes qui vont dans ces conférences et, d’autre part, la jeunesse des régions difficiles d’accès. Nous devons combler ce fossé en garantissant l’accès à l’information. Si nous voulons changer le débat, nous devrions encourager ces jeunes les plus vulnérables à venir ici et à prendre la parole, quelle que soit la langue qu’ils parlent. Nous pouvons trouver des gens pour traduire ce qu’ils disent et, alors, nous pourrons comprendre ce dont ils ont réellement besoin.

Beverly Mutindi Chogo – Ambassadrice HER Voice, Kenya

Je suis la cofondatrice de SophieBot, où nous cherchons à utiliser l’intelligence artificielle pour aider les adolescentes et les jeunes femmes à trouver des réponses aux questions qu’elles se posent sur leur santé sexuelle et reproductive.

La plupart des programmes internationaux de développement sont conçus sans les jeunes, ce qui les empêchent souvent d’aller au fond des problèmes. S’il est un domaine clé dans lequel le secteur privé se débrouille bien mieux que les organisations internationales de développement, c’est dans la façon dont il s’adresse aux jeunes. Par exemple, le secteur privé a recours à une méthodologie d’innovation appelée « design thinking », ou conception collaborative : les concepteurs ont une idée, la teste avec les utilisateurs qui peuvent la valider, puis cherchent des solutions. Les organisations internationales de développement n’ont pas cette souplesse. Nous nous retrouvons souvent avec des idées préconçues que nous proposons aux jeunes sans les tester, de sorte que nous continuons à faire les mêmes erreurs. Si vous voulez créer le changement, vous devez passer du temps avec les jeunes femmes et les filles. Rien pour nous, sans nous.

Nthabeleng Nts’ekalle –Ambassadrice HER Voice, Lesotho

Je travaille pour une ONG appelée Lesotho Network of AIDS Service Organizations (LENASO). Nous plaidons pour que les gens obtiennent un diagnostic du VIH, un dépistage de la tuberculose et d’autres services de soins de santé primaires. Nous travaillons au plus près des gens, en faisant le pont entre eux et la prise en charge et le traitement, puis nous veillons à ce qu’ils suivent leur traitement. Nous travaillons dans les régions les plus difficiles d’accès. Mon pays est montagneux – on l’appelle souvent le royaume dans le ciel. La configuration est rude et nous devons parfois chevaucher pendant deux jours pour atteindre les personnes qui en ont le plus besoin, là où les filles n’ont que très peu d’informations à propos du VIH et de la manière de s’en protéger.

Nous devons trouver des solutions pour faire parvenir aux communautés les informations que nous partageons lors de ce genre de réunions. Les communautés dans lesquelles nous travaillons ne connaissent pas des outils essentiels comme la PrEP (prophylaxie préexposition). Certaines personnes ne savent même pas comment utiliser des préservatifs. Il ne suffit pas de dire que ces outils sont disponibles. J’ai véritablement à cœur de communiquer des informations sur les outils de contraception et de prévention et de veiller à ce qu’ils soient disponibles là où ces filles peuvent y avoir accès. Il faut communiquer aux dirigeants, aux prêtres et aux parents des informations pour qu’ils sachent à quel point les connaissances et les outils de prévention du VIH et d’autres maladies sont importants pour nous. Nous devrions proposer des informations et une éducation d’une façon générale : aux filles, aux dirigeants et aux parents.

Brenda Formin – Ambassadrice HER Voice, Cameroun

Je suis une défenseuse et militante des droits des enfants qui plaide en faveur des droits et de la santé sexuelle des adolescentes et des jeunes femmes au Cameroun.

Un jour, ma maman m’a dit que les gens ne s’intéressaient pas aux promesses que l’on fait, mais au fait que l’on soit honnête au moment de les tenir. S’il y a une chose que je voudrais dire aux dirigeants de conférences comme celle-ci, c’est qu’ils doivent établir des politiques qui ont du sens. Quelque part, chaque jour, une fille est violée, une fille subit des mutilations génitales, est contrainte de se marier ou de travailler. Les chiffres à ce sujet sont particulièrement mauvais en Afrique. Nous chantons des chansons sur l’égalité de genre, mais nos politiques ne sont pas à la hauteur. Elles ne nous aident pas à lutter pour les droits des filles et des jeunes femmes. Bien souvent, les dirigeants viennent à ce genre d’événements et y font des promesses, faisant naître chez nous des attentes. Ils doivent rendre des comptes. On ne se souviendra pas d’eux pour les choses qu’ils auront promises ici, mais bien pour la façon dont ils tiennent leurs promesses.

Photos : Le Fonds mondial / Three Sixty Media