Pour la journée mondiale de lutte contre le sida : accélérer le mouvement contre le VIH

29 novembre 2019 par Peter Sands

En cette Journée mondiale de lutte contre le sida, je ressens un nouveau sentiment d’urgence et un regain d’énergie à tous les niveaux du partenariat auquel appartient le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. L’urgence au vu de la nécessité d’accélérer le mouvement — notre trajectoire actuelle ne nous mènera pas à l’objectif d’en finir avec ces épidémies d’ici 2030. Et l’énergie, en raison du succès de notre conférence de reconstitution des ressources organisée à Lyon en octobre dernier sous la conduite du Président français Emmanuel Macron et durant laquelle les donateurs ont accéléré le mouvement et promis une somme record de 14 milliards de dollars US. Cette somme est la plus importante jamais recueillie par le Fonds mondial, mais aussi au niveau international en faveur de la santé mondiale. Malgré le cynisme ambiant qui entoure le multilatéralisme et tous les appels pour que chacun s’occupe de ses propres affaires, le succès de la sixième reconstitution des ressources du Fonds mondial offre une puissante démonstration de la capacité de la communauté internationale à se rassembler pour régler des problèmes communs, répondre aux besoins des plus pauvres et des plus vulnérables et contribuer à un monde meilleur.

Nous devons à présent obtenir l’impact le plus marqué possible pour ces ressources supplémentaires. Nous le devons à nos donateurs et aux contribuables qu’ils représentent. Nous nous devons encore plus à ceux et celles qui sont touchés par le VIH, la tuberculose et le paludisme ou qui y sont vulnérables, de saisir cette occasion de changer radicalement le cours des épidémies.

Nous sommes à une étape cruciale de la lutte contre le VIH. Avec la généralisation à grande échelle des traitements antirétroviraux, nous sauvons des millions de vies, mais le nombre total de nouvelles infections à VIH reste inacceptable : 1,7 million de personnes ont été infectées par le VIH en 2018. De plus, même si nous réussissons à fournir des médicaments vitaux aux patients, beaucoup de personnes sont diagnostiquées alors que la maladie en est déjà à un stade avancé. Nous avons réalisé de nombreux progrès, mais le monde n’atteindra pas les objectifs de l’ONUSIDA de réduire à moins de 500 000 le nombre de personnes infectées ainsi que le nombre de décès chaque année à l’horizon 2020.

Fournir un traitement antirétroviral aux personnes qui sont infectées par le VIH sauve des vies, mais cela fait également partie intégrante de la stratégie visant à réduire le nombre de nouvelles infections à VIH. Un traitement efficace qui parvient à supprimer la charge virale aboutit à l’équation « indétectable = non transmissible ». Cependant, pour réduire plus rapidement le nombre de nouvelles infections, nous devons nous attaquer au taux obstinément élevé de nouvelles infections à VIH chez les adolescentes et les jeunes femmes, ainsi qu’à la prévalence extrêmement forte du virus parmi les populations-clés, deux éléments qui résultent des obstacles persistants liés au genre et aux droits humains.

Lorsque les droits des femmes sont violés et que les populations-clés, comme les travailleurs et travailleuses du sexe et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, vivent dans un climat de peur, ces personnes ne sont pas en mesure d’accéder au traitement du VIH ni aux services de soins de santé dont elles ont besoin. Elles n’ont pas non plus la possibilité d’observer un traitement.

Nous ne vaincrons le VIH qu’en reconnaissant et en combattant l’omniprésence de la violence fondée sur le genre, les inégalités en termes d’éducation et l’absence d’autonomie économique à laquelle font face beaucoup de filles et de jeunes femmes. Ainsi, celles d’entre elles qui vivent en Afrique subsaharienne et qui sont âgées de 15 à 24 ans courent deux fois plus de risques d’être séropositives que les jeunes hommes du même âge, et dans les pays les plus durement touchés, les adolescentes représentent plus de 80 pour cent des nouvelles infections à VIH de leur tranche d’âge. Cela est dû aux fortes inégalités structurelles de genre qui rendent les filles et les jeunes femmes très vulnérables aux infections et les empêchent de solliciter des services de santé et de prendre des décisions en connaissance de cause en ce qui concerne leur santé sexuelle et procréative et leur vie, ce qui nuit à leur capacité de protéger leur santé et de prévenir le VIH.

De la même manière, nous ne mettrons un terme au VIH que si nous supprimons les obstacles liés aux droits humains auxquels sont confrontées les populations-clés – y compris les personnes homosexuelles, bisexuelles et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les consommateurs et consommatrices de drogues injectables, les travailleurs et travailleuses du sexe et les personnes transgenres. Ces obstacles, souvent liés à la criminalisation et à un fort rejet social, augmentent simultanément la vulnérabilité aux infections et entravent leur accès aux services de santé. Les personnes issues des populations-clés et leurs partenaires représentent désormais plus de la moitié des nouvelles infections. Récemment, des pays comme la Russie et les Philippines ont vu l’incidence des nouvelles infections partir à la hausse à un rythme alarmant du fait des obstacles politiques et touchant l’accès aux services, ainsi que du rejet social et de la discrimination qu’ils génèrent de façon permanente. De plus, nous devons répondre aux difficultés d’un accès tardif aux services pour de nombreux hommes hétérosexuels.

Aussi, nous ne battrons le VIH que si nous continuons à innover et à accélérer le rythme auquel les innovations réussies sont mises à l’échelle au profit des personnes qui en ont besoin. Les innovations biomédicales comme les kits d’autotest du VIH ou les combinaisons PrEP/contraception sont des outils potentiellement puissants pour aider à réduire les nouvelles infections. De meilleurs schémas thérapeutiques, qui agissent à plus long terme et présentent moins d’effets secondaires, peuvent améliorer l’efficacité du traitement.

Les innovations en ce qui concerne les modèles de prestation et les plateformes de services sont tout aussi importantes. Il s’agit par exemple des services itinérants de dépistage dans les stations-service pour poids lourds longue distance, des modèles de traitement différencié adaptés aux besoins des différentes populations-clés, des services dirigés par les communautés ou des stratégies de marketing social pour améliorer l’utilisation d’outils bien connus, mais toujours très efficaces, comme les préservatifs.

Afin de s’attaquer aux inégalités de genre et de supprimer les obstacles liés aux droits humains, mais aussi d’optimiser l’impact de l’innovation, nous avons besoin que celles et ceux qui sont directement touchés par le VIH participent étroitement à l’élaboration des produits et des programmes et à leur mise en place. Cela suppose d’investir dans les communautés touchées afin de leur permettre de s’organiser et de faire entendre leur voix, de garantir que les services sont élaborés en fonction de leurs besoins, mis en œuvre quand il le faut pour elles et évalués grâce à une surveillance communautaire.

Par exemple, grâce à HER Voice, le Fonds mondial fournit des petites subventions à des dizaines de groupes communautaires de filles et de jeunes femmes pour leur permettre de participer activement aux débats sur les politiques et à la gestion des programmes.

Nous devons également accélérer les investissements dans la collecte et l’interprétation des données. Trop souvent, les données que nous utilisons ne sont plus à jour, ne sont pas assez fines ou reposent sur des estimations non fiables ou biaisées. Ainsi, le nombre de personnes qui consomment des drogues reflète parfois une vérité que les décideurs appellent de leurs vœux, plutôt que la réalité. Sans données exactes, récentes et détaillées, nous pilotons à l’aveugle. Les systèmes de santé surchargés et affaiblis dépendent souvent de systèmes d’information sur la gestion sanitaire incohérents, fragmentés ou tenus sur papier.

Nos investissements dans les systèmes de données doivent être accélérés et, alors que la couverture sanitaire universelle est dans l’air du temps, il faut y voir un élément des systèmes de données pour la santé. Ces méthodes de collecte des données, particulièrement quand elles concernent les communautés clés et vulnérables, devraient être mise en place au sein des communautés elles-mêmes.

Investir dans les communautés et les systèmes de données sont deux exemples de domaines où la lutte contre le VIH suppose nécessairement le renforcement global des systèmes de santé. La chaîne d’approvisionnement en est un autre exemple : disposer des capacités et des infrastructures pour garantir un approvisionnement constant des médicaments nécessaires en évitant les ruptures ou les excédents de stock est un élément essentiel de tout programme antirétroviral, mais c’est également vital pour le système de soins de santé primaires dans son ensemble.

À la suite de la reconstitution réussie de ses ressources, le Fonds mondial va accélérer les investissements dans tous ces domaines, en se concentrant sur les pays et les communautés présentant la charge de morbidité la plus importante et ayant le moins de ressources.

Cependant, une aide extérieure de la part du Fonds mondial ou d’autres institutions comme le Plan d’urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le sida ne suffira pas. Les gouvernements des pays touchés doivent continuer à augmenter leurs investissements dans la lutte contre le VIH et dans la santé d’une manière générale. Ils doivent aussi supprimer les paiements directs par les usagers et les obstacles juridiques, et prendre les devants pour combattre le rejet social et les inégalités qui alimentent l’épidémie.

Nous sommes à un point critique de la lutte contre le VIH. En 2015, le monde s’est engagé à en finir avec l’épidémie d’ici 2030. Nous pouvons tenir cette promesse, mais seulement si nous agissons maintenant et que nous accélérons le mouvement ensemble.

Cet article a été publié sur Devex.