La menace pour l’Afrique

07 avril 2020 par Peter Sands, Directeur exécutif du Fonds mondial

La pandémie de COVID-19 donne l’impression d’assister à une pièce de théâtre où chaque acte supplante le précédent. Elle a débuté à Wuhan, s’est ensuite propagée en Europe et s’accélère aujourd’hui aux États-Unis. Pourtant l’acte qui pourrait bien éclipser tous les autres est celui de la propagation de la COVID-19 en Afrique.

À moins que des mesures soient prises de toute urgence, l’imminence d’une catastrophe en Afrique est bien réelle. Actuellement, le nombre de cas confirmés et de décès est toujours relativement faible sur le continent africain qui pourrait avoir quatre à six semaines de retard sur l’Europe. Mais, la direction suivie par la COVID-19 et son impact pourraient être bien pires, car l’épidémie y serait plus difficile à contenir et plus mortelle et dévastatrice pour les communautés.

Les défis auxquels l’Afrique est confrontée sont d’une ampleur redoutable. Les dernières évaluations de l’état de préparation de l’OMS indiquent que le continent dispose de très peu d’unités de soins intensifs pour traiter les cas graves de COVID-19. Le Libéria, par exemple, ne dispose que de quatre lits de soins intensifs pour tout le pays. Quant aux pays comptant des unités de soins intensifs, ils manquent de ventilateurs et de nombreux pays n’en ont pas du tout.

Les systèmes de santé africains relativement faibles sont déjà mis à rude épreuve par le nombre élevé de cas liés à d’autres maladies infectieuses. C’est en effet en Afrique que l’on enregistre la grande majorité des morts liées au VIH et au paludisme, et un décès sur quatre dû à la tuberculose dans le monde se produit sur ce même continent.

Alors que le lugubre bilan de la COVID-19 croît dans le monde, il convient de se souvenir que ces trois maladies sont toujours responsables de 2,7 millions de décès par an. Même si nous commençons à peine à comprendre les effets des autres pathologies sur le pronostic de la COVID-19, il faut garder à l’esprit que les personnes vivant avec le VIH sont immunodéprimées et celles touchées par la tuberculose peuvent souffrir de dysfonctionnement pulmonaire.

Pourtant, il y a des raisons d’espérer. Les pays africains peuvent tirer profit de leur expérience dans la riposte au sida, à la tuberculose et à la malaria – et à Ébola – en s’appuyant sur leur expertise relative aux tests, au dépistage et à la surveillance à grande échelle, en renforçant leurs capacités d’analyse et de diagnostic, et en mobilisant les communautés.

Le plus important est ici la volonté politique. Plusieurs dirigeants africains, comme le Président Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud, le Président Paul Kagame au Rwanda et le Premier ministre Abiy Ahmed en Éthiopie, ont déjà montré qu’ils étaient déterminés à agir fermement. Le Centre africain de prévention et de contrôle des maladies, dirigé par le docteur John Nkengasong, a proposé de se charger de la coordination des données épidémiologiques et de la collaboration sur le continent.

Dans la lutte contre la COVID-19, la démographie de l’Afrique est un atout majeur. Seulement trois pour cent de sa population a plus de 65 ans, alors que cette catégorie d’âge représente vingt pour cent de la population de l’Union européenne. La majorité des statistiques suggérant que les personnes de plus de 65 ans risquent davantage de décéder de la COVID-19 que leurs cadets, la jeunesse relative de l’Afrique pourrait atténuer le taux de mortalité générale sur le continent.

Mais les dangers sont abyssaux. La COVID-19 pourrait stopper net les progrès accomplis pour en finir avec les épidémies de VIH, de tuberculose et de paludisme, et remettre en cause des résultats âprement acquis en termes de taux de mortalité et d’infection. Dans leur mobilisation pour contrer la nouvelle menace, des ministères de la Santé sous tension réaffectent déjà des travailleurs des services de santé et des ressources, et l’attention se détourne.

Les risques de poser de faux diagnostics et d’envoyer de mauvais messages sont énormes. Par exemple, certains symptômes du paludisme et de la tuberculose peuvent se confondre avec ceux de la COVID-19.

Alors que nous nous efforçons de convaincre les personnes suspectées d’être atteintes de la tuberculose de se rendre dans des établissements de soins pour y être dépistées et soignées, nous ne souhaitons probablement pas que celles qui pourraient être porteuses de la COVID-19 le fassent. Au contraire, nous voulons qu’elles s’isolent ou qu’elles se rendent dans des établissements de santé équipés pour tester la COVID-19.

Certaines personnes pourraient avoir peur de se rendre dans des établissements de santé pour s’y faire soigner par crainte d’être contaminées par la COVID-19. Pendant l’épidémie d’Ébola en Afrique occidentale et centrale en 2014-2015 et celle en cours en République démocratique du Congo, par exemple, des mères hésitaient à se rendre dans des dispensaires avec leurs enfants fiévreux pour les faire examiner et soigner, faisant ainsi exploser le nombre de décès dus au paludisme.

Une autre difficulté pour l’Afrique a trait à l’application sur son territoire des stratégies de lutte contre la pandémie adoptées ailleurs. De telles mesures de confinement, obligeant toutes les entreprises non essentielles à fermer ou à fonctionner en ligne, se justifient du point de vue du contrôle épidémiologique, mais leurs coûts économiques sont immenses et frappent plus durement les plus pauvres.

Dans les économies avancées, les gouvernements ont promis des centaines de milliards de dollars pour atténuer le stress économique qu’une telle situation engendre pour les ménages. En Afrique, les conséquences sur la population seront plus ravageuses. Nombre de personnes vivent grâce à ce qu’elles gagnent chaque jour et ne mangent pas si elles ne travaillent pas.

Travailler depuis chez soi grâce à internet ne sera possible que pour une infime partie de la population et les gouvernements africains n’ont pas les ressources financières nécessaires pour protéger les revenus des familles. Comme l’a déclaré Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, « fragiles et vulnérables dans le meilleur des cas, les économies africaines sont au bord du gouffre ».

Partout en Afrique, de nombreuses personnes seront confrontées au choix impossible de nourrir leur famille ou de la protéger du virus. À moins qu’ils ne parviennent à mobiliser comme jamais les communautés locales pour qu’elles adoptent et appliquent le principe de distanciation physique, les gouvernements devront se battre pour éliminer la transmission du virus.

Les enjeux sont extraordinairement élevés. Pour relever le défi de la COVID-19, les dirigeants africains devront agir résolument et montrer l’exemple tant aux niveaux régional et national, que dans les communautés. Aussi, les dirigeants du monde et les institutions internationales devront faire preuve des mêmes détermination et rapidité d’action.

Cet article d’opinion a été publié pour la première fois en anglais dans The Telegraph.