Placer les droits humains au cœur de la lutte contre le COVID-19

10 décembre 2020 par Peter Sands et Antonio Zappulla

L’homme a de tout temps été confronté à des pandémies – la peste bubonique, la variole, la grippe, le VIH et, aujourd’hui, le COVID-19. Les pandémies peuvent toucher n’importe qui, sans distinction de croyance, de couleur ou de classe. Cependant, elles ne frappent pas de manière équitable. Ces crises sanitaires mettent en lumière les horribles failles qui déchirent nos sociétés. L’inégalité, la marginalisation, la pauvreté et les autres obstacles liés aux droits humains déterminent qui est infecté et qui succombera, avec des conséquences dévastatrices pour les communautés vulnérables.

Lorsque certaines personnes ne peuvent pas accéder aux services de prévention, de traitement et de soins médicaux en raison de la stigmatisation, de la discrimination ou des sanctions pénales fondées sur des critères liés au genre, à la race, à la classe, à l’état de santé, à la consommation de drogue ou au commerce du sexe, elles sont plus susceptibles de tomber malade. Si, à cela, s’ajoutent un manque de leadership, un manque d’informations précises et un cadre juridique dans lequel les abus et la discrimination restent impunis, les communautés marginalisées forment des cibles faciles pour un virus.

Nous en avons fait l’amère constatation dans la lutte contre le sida. À l’époque, d’innombrables personnes ont été laissées pour compte. Malgré les progrès considérables réalisés, les populations clés et vulnérables continuent d’être infectées par le VIH à des taux bien supérieurs à celui de la population générale en raison de l’absence de protection à la fois des droits humains et de l’égalité entre les genres. En Afrique subsaharienne, cinq adolescents âgés de 15 à 19 ans nouvellement infectés sur six sont des filles. Selon l’ONUSIDA, pas moins de 62 % des nouvelles infections au VIH dans le monde concernent des populations clés – travailleurs du sexe, consommateurs de drogues injectables, détenus, personnes transgenres, et homosexuels et autres hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes. Cela n’est pas un hasard : si les populations clés sont infectées en nombres disproportionnés, c’est parce qu’elles ne bénéficient pas d’un accès égal aux services de santé.

Les confinements et autres restrictions liés au COVID-19 aggravent cette situation. Les enquêtes bihebdomadaires du Fonds mondial menées dans plus de cent pays révèlent que 75 % des services essentiels de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme connaissent de graves perturbations. Des services de santé dont la mise en place a pris des années essuient de durs revers, et les personnes qui étaient déjà vulnérables face à d’autres maladies courent à présent encore plus de risque de contracter le COVID-19. Human Rights Watch avertit qu’en raison de l’impossibilité d’accéder au dépistage du VIH liée aux mesures de confinement, les personnes LGBT sont particulièrement susceptibles de tomber gravement malades, voire de mourir, en cas d’infection par le COVID-19.

Le COVID-19 a également aggravé les violations des droits humains liées à la santé, notamment la stigmatisation, la discrimination, la violence sexiste et policière. Dans certains pays, les groupes vulnérables sont devenus les boucs émissaires de la nouvelle pandémie. Soixante et un pour cent des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête de grande envergure ont indiqué que l’augmentation de la stigmatisation et la mésinformation nuisent considérablement à la riposte à la tuberculose dans le contexte du COVID-19.

Il est tout à fait essentiel de rassembler les principaux acteurs publics et de la société civile en vue d’élaborer une riposte au COVID-19 fondée sur les droitstélécharger en English ] . On ne remporte pas le combat contre une épidémie en bafouant les droits humains, mais au contraire en les renforçant. Le Fonds mondial aide les pays à renforcer les droits en finançant des programmes concrets visant à permettre aux personnes de revendiquer leurs droits en pleine pandémie. L’Afrique du Sud, par exemple, a mis en place des lignes téléphoniques d’aide juridique et a organisé des formations en ligne sur les droits humains à l’intention des populations vulnérables et des forces de police. Au Botswana, des organisations de la société civile ont mis au point des activités destinées à s’attaquer à la stigmatisation liée au VIH, à la tuberculose et au COVID-19. La Commission indonésienne de lutte contre le sida réalise actuellement une enquête nationale sur l’impact du COVID-19 sur les populations vulnérables, qui se penche sur des questions telles que la pénalisation, la violence sexiste et l’accessibilité des services. Au Ghana, une brigade policière spécialisée dans la violence sexiste a été formée dans le but de créer des conditions favorables à l’inclusion des femmes dans son travail.

Ces exemples exceptionnels d’adaptation et de résilience permettent d’espérer que la lutte contre le COVID-19 puisse être à la fois équitable et efficace. Cependant, nous devons en faire davantage.

Une couverture médiatique juste, équilibrée et fondée sur les données scientifiques est cruciale pour informer le public. Les médias doivent pouvoir informer en toute liberté et en s’appuyant sur les faits. Ils doivent pouvoir fournir des informations impartiales et exactes lorsqu’ils couvrent les sujets de santé critiques et les défis de l’accès aux services de santé. La libre circulation d’informations susceptibles de sauver des vies doit être protégée. À cette fin, la Fondation Thomson Reuters et le Fonds mondial ont uni leurs forces pour former les journalistes aux questions de santé et de droits humains et appuyer la sensibilisation aux obstacles liés aux droits humains qui entravent l’accès à la santé. Cela est d’autant plus crucial dans le contexte de la pandémie de COVID-19, où l’exactitude des informations peut faire la différence entre la vie et la mort.

Nous devons utiliser ce moment décisif de l’histoire de l’humanité comme un tremplin pour faire progresser les droits humains. La riposte mondiale au VIH a changé le cours de la santé mondiale, suscitant une solidarité mondiale jamais vue jusqu’alors pour obtenir des gouvernements qu’ils reconnaissent les droits en matière de santé et garantissent un accès équitable pour tous. La riposte mondiale au COVID-19 peut avoir un effet tout aussi transformateur.

Dans la lutte contre le nouveau coronavirus, nous devons tirer les leçons des pandémies passées et veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte. L’Accélérateur ACT, une coalition novatrice de partenaires mondiaux, a vocation à garantir un accès équitable aux tests, aux traitements, aux vaccins et aux fournitures sanitaires essentielles. Nous devons nous engager à protéger tout le monde, partout, des maladies infectieuses les plus meurtrières. Nous devons renforcer les systèmes et les ripostes communautaires si indispensables pour venir à bout de toute épidémie. Enfin, nous devons lutter contre les violations des droits humains partout où elles ont lieu, l’expérience nous ayant appris que pour protéger tout le monde, il faut protéger les plus vulnérables.

Peter Sands est le directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et Antonio Zappulla est le directeur général de la Fondation Thomson Reuters.