Les données sauvent des vies. Pour mettre fin au VIH, il faut d’urgence améliorer la collecte de données dans les populations clés

17 décembre 2020 par Jinkou (Button) Zhao, Senior Specialist, Monitoring & Evaluation

Quarante ans après le début de l’épidémie de sida, le monde peine encore à recueillir des données de qualité sur les personnes les plus touchées par le VIH, ce qui ralentit la marche vers l’élimination de la maladie.

Même si nous avons fait des progrès extraordinaires (notamment en réduisant de plus de la moitié le nombre de décès dus au sida depuis 2005), le taux d’infection diminue trop lentement pour que nous puissions espérer mettre fin à l’épidémie d’ici 2030 comme nous le souhaitions. La maladie continue à toucher de façon disproportionnée les populations clés : les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les travailleurs du sexe, les personnes en détention, les consommateurs de drogues injectables et les femmes transgenres. En 2019, les membres de ces populations et leurs partenaires sexuels comptaient pour 62 % des nouvelles infections au VIH à l’échelle mondiale, alors qu’ils forment un très faible pourcentage de la population générale.

Pour éliminer le VIH, il est essentiel de fournir à ces populations des services de prévention et de dépistage, des traitements et des soins, et de les aider à surmonter les obstacles qui les empêchent d’obtenir les services de santé auxquels elles ont droit. Pour y arriver, la collecte, l’analyse et l’interprétation continues et systématiques de données granulaires sur la charge de morbidité du VIH, la taille des populations, l’accès aux services et les obstacles propres aux populations sont critiques.

Celles et ceux qui mènent le combat contre le VIH ont absolument besoin de ces données pour évaluer l’admissibilité d’un pays au financement, concevoir des programmes ciblés, approuver le versement de fonds, définir des cibles et mesurer le succès.

Mais il y a un problème.

Une étude récente, qui a passé en revue toutes les données sur la prévalence du VIH recueillies dans des populations clés sur une période de 17 ans (de 2001 à 2017), dans 123 pays à revenu faible ou intermédiaire, a produit des résultats alarmants. Entre autres, les trois quarts de ces pays n’ont pas de données sur la prévalence du VIH chez les femmes transgenres, environ la moitié d’entre eux n’ont pas de données sur la prévalence du VIH chez les consommateurs de drogues injectables et 20 % n’ont pas de données sur la prévalence du VIH chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ou les travailleurs du sexe. De plus, seuls 44 des 123 pays étudiés disposent de données adéquates sur la prévalence du VIH pour établir des programmes nationaux ou locaux destinés aux populations clés. Enfin, seuls 60 % de ces pays ont des données sur les tendances de la prévalence du VIH chez les travailleurs du sexe et chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.

À ces lacunes dans la disponibilité et la qualité des données s’ajoutent la stigmatisation et la discrimination généralisées touchant ces populations clés, ce qui nuit à la collecte de données.

Les problèmes de disponibilité et de qualité des données ont des conséquences catastrophiques. D’abord, les pays où les données sur la prévalence du VIH sont de piètre qualité ou inexistantes peuvent être privés, en tout ou en partie, des fonds dont ils auraient tant besoin. Ensuite, le manque de données sur les tendances peut nuire à la mesure de l’efficacité et à l’évaluation des retombées des subventions. Enfin, le manque de ressources et la capacité réduite d’évaluation des programmes menacent le déploiement de mesures de prévention, de dépistage et de traitement des populations clés et vulnérables.

C’est pourquoi le Fonds mondial a consacré 35 millions de dollars US à une initiative stratégique sur les systèmes de données visant à renforcer l’intégration et l’efficacité des programmes ciblant les populations clés et s’est engagé, avec des partenaires publics et privés, à investir davantage dans les systèmes de données nationaux et la surveillance des communautés pour améliorer la disponibilité et la qualité des données sur ces populations. Des acteurs mondiaux de la santé, dont le Fonds mondial, l’OMS et l’ONUSIDA, explorent également des façons de simplifier la collecte régulière de données de qualité. L’ONUSIDA a récemment remis en ligne son Atlas des populations clés, un outil qui fournit tout un éventail de données sur les membres de ces populations dans le monde entier.

En cette période où toute la planète lutte contre la COVID‑19, on ne peut que reconnaître l’importance et la nécessité de disposer de données locales en temps réel. Les infections, les hospitalisations et les décès dus à la pandémie font l’objet d’un suivi quotidien ; il faut faire de même pour le VIH si l’on veut espérer atteindre les objectifs fixés pour 2025 et mettre fin à l’épidémie d’ici 2030.