Dans la lutte contre le COVID-19, il ne faut pas négliger le paludisme

25 avril 2021 par Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial

La journée mondiale de lutte contre le paludisme nous rappelle que, pendant que le monde se bat contre le COVID-19, une pandémie beaucoup plus ancienne n’a toujours pas été vaincue. Le paludisme est une maladie transmise par les moustiques qui accable l’humanité depuis des millénaires et tue toujours plus de 400 000 personnes par an – principalement des enfants de moins de 5 ans. En fait, il est presque certain que ce triste chiffre a augmenté en 2020, et qu’il continuera de le faire en 2021. La pandémie de COVID-19 a eu un effet dévastateur sur les services de dépistage et de traitement du paludisme dans un grand nombre des pays les plus touchés. De nouvelles données provenant de contrôles ponctuels du Fonds mondial dans 504 établissements de santé de 32 pays d’Asie et d’Afrique ont révélé que le nombre de diagnostics de paludisme a chuté de 31 % sur une période de 6 mois, comparativement à l’année précédente, et le volume de traitements, de 13 %. Le diagnostic et le traitement rapides du paludisme sont essentiels pour prévenir les décès, et il n’y a aucune raison de croire que le nombre de cas a chuté. Il est donc inévitable qu’une réduction si importante des diagnostics et des traitements se traduise par une hausse de la mortalité.

Cela aurait pu être bien pire. Les moustiquaires imprégnées d’insecticide, qui protègent la population contre les moustiques, sont la première ligne de défense contre le paludisme. Au début de la pandémie, nous avions très peur que les interruptions de la chaîne d’approvisionnement et la difficulté à distribuer des millions de moustiquaires pendant les confinements laissent des centaines de millions de personnes sans protection. Grâce à un effort monumental – découlant des campagnes nationales de lutte contre le paludisme menées par les pays ‒ soutenu par le Fonds mondial et l’Initiative du Président des États-Unis contre le paludisme, et grâce à l’incroyable mobilisation d’organisations communautaires, nous avons évité ce qui aurait pu être une catastrophe. Certaines campagnes de distribution de moustiquaires ont été retardées en 2020, mais la plupart ont été menées à bien.

Cette année, la difficulté consistera à soutenir la capacité des agents de santé communautaires dans le dépistage et le traitement de la maladie. Dans la majeure partie de l’Afrique rurale, les agents de santé communautaires sont le pilier du système de santé. Dans les régions les plus lourdement touchées d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, ils passent la majeure partie de leur temps à traiter des cas de paludisme. Je me souviens d’une conversation avec une agente de santé communautaire au Mali. Elle m’avait dit que la situation relative au paludisme s’était beaucoup améliorée depuis qu’elle avait commencé, plusieurs années auparavant. Or, en consultant son registre des patients, j’ai été étonné de voir que chaque visite concernait un cas de paludisme. Lorsque je lui ai demandé des explications, elle m’a répondu que la différence se voyait surtout dans le nombre de décès : le dépistage précoce et le traitement efficace avaient largement réduit les décès. Depuis 2000, le taux de mortalité lié au paludisme a chuté de 60 % à l’échelle mondiale grâce aux agents de santé communautaires comme elle, qui travaillent sans relâche.

Mais le nombre de personnes avec lesquelles ils interagissent rend les agents extrêmement vulnérables aux infections à coronavirus. Par ailleurs, ils ont souvent un accès limité à l’équipement de protection individuelle (EPI) de base, comme les gants et les masques. Les mêmes contrôles ponctuels réalisés par le Fonds mondial l’an dernier ont révélé que 55 % des établissements de santé d’Afrique ne disposaient pas de suffisamment d’EPI de base pour leurs travailleurs. Si un agent de santé communautaire tombe malade, il n’y a souvent personne pour le remplacer.

Les agents de santé communautaires seront également appelés à jouer un rôle vital dans les campagnes de vaccination contre le COVID-19 à mesure de leur mise en œuvre. Il est indispensable de protéger les gens contre le nouveau virus. Toutefois, nous devons également nous assurer que le détournement de l’attention n’entraîne pas une augmentation des décès liés au paludisme.

À moins de prendre des mesures décisives, la pandémie entraînera vraisemblablement, dans les pays les plus pauvres d’Afrique, une hausse des décès liés au paludisme qui dépasse largement l’impact direct du COVID-19.

En tant que principal bailleur de fonds international des programmes de lutte contre le paludisme, le Fonds mondial et ses partenaires travaillent sans relâche pour éviter un résultat aussi catastrophique et nous remettre sur la voie de l’élimination du paludisme. Depuis janvier 2021, nous avons augmenté les subventions liées au paludisme de 23 % en moyenne et nous sommes engagés à déployer près de 4 milliards de dollars US au cours des trois prochaines années. De plus, notre dispositif de riposte au COVID-19 met 3,7 milliards de dollars US de financement à disposition des pays pour les aider à lutter contre la maladie ; à atténuer son impact sur les services relatifs au VIH, à la tuberculose et au paludisme ; et à apporter des améliorations urgentes aux systèmes de santé.

Pour ce qui est du paludisme, les priorités pour 2021 consistent à continuer de garantir la poursuite des campagnes de distribution de moustiquaires, de pulvérisation intradomiciliaire d’insecticide et de chimioprévention du paludisme saisonnier pour les enfants. Il s’agira aussi de soutenir davantage les réseaux d’agents de santé communautaires. Nous avons besoin de plus d’agents de santé communautaires et nous devons mieux les aider – sur le plan des finances, de la technologie, de la formation, et de l’équipement de protection individuelle.

Au-delà de 2021, nous devons utiliser le COVID-19 comme catalyseur pour repenser notre approche du paludisme. Les décisionnaires politiques internationaux réfléchissent déjà aux moyens les plus adaptés pour protéger la planète contre les pandémies à venir. N’oublions pas qu’il est impératif d’éliminer les pandémies plus anciennes comme le paludisme, qui ne constituent peut-être pas des menaces à Washington, à Londres ou à Paris, mais qui coûtent toujours la vie à des centaines de milliers de personnes chaque année.

En fait, une réelle intensification de la lutte contre le paludisme serait la meilleure façon de mieux se préparer aux pandémies dans plusieurs des endroits les plus pauvres de la planète. Les capacités requises pour préparer la riposte contre toute nouvelle menace pathogène sont en grande partie identiques à celles nécessaires pour en finir avec le paludisme : soins de santé primaire accessibles à tous, même dans les endroits éloignés ; diagnostics rapides ; séquençage génomique pour détecter les variants ; surveillance des maladies, notamment la capacité à tracer chaque infection ; chaînes d’approvisionnement garantissant la disponibilité de médicaments essentiels partout. On pourrait utiliser d’éventuels nouveaux vaccins contre le paludisme pour piloter des modèles accélérés aux fins d’essais cliniques, d’approbation réglementaire et de déploiement.

Plutôt que de fonder la préparation aux pandémies sur des menaces hypothétiques – des pathogènes qui pourraient coûter des vies – créons cette protection en mettant un terme au paludisme, et par la même occasion en sauvant des millions de vies, pour la plupart de jeunes enfants. Nous acceptons depuis trop longtemps de laisser des gens mourir de maladies que l’on peut traiter et que l’on est en mesure d’éliminer comme nous l’avons déjà fait dans des dizaines de pays. Nous pouvons éliminer ces maladies partout, dès maintenant. Nous renforcerons ainsi nos défenses contre d’autres menaces pandémiques.

Une version en anglais de ce texte est parue dans Health Policy Watch le 24 avril 2021.