Tuberculose pharmacorésistante : les vieilles méthodes ne fonctionnent plus

14 octobre 2021 par Dr Mohammed Yassin, conseiller principal pour la tuberculose au Fonds mondial

J’ai passé les 25 dernières années à œuvrer pour la prévention de la tuberculose et à soigner des personnes atteintes de cette maladie. J’ai vu de mes yeux les effets dévastateurs de la maladie, notamment ceux de la tuberculose pharmacorésistante, qui est plus mortelle et plus difficile et coûteuse à soigner.

En Indonésie, j’ai rencontré des patients qui ne pouvaient pas se soigner ou qui devaient abandonner leur traitement faute de moyens financiers, ou parce qu’ils n’avaient pas accès physiquement aux soins dont ils avaient besoin. Au Kazakhstan, j’ai vu des personnes atteintes de tuberculose pharmacorésistante qui étaient hospitalisées depuis un an ou plus, et qui avaient perdu leur emploi et ne pouvaient donc plus subvenir à leurs besoins ni à ceux de leur famille. 

Même avant la pandémie de COVID-19, on estime que seul un tiers des 500 000 personnes atteintes de tuberculose pharmacorésistante étaient sous traitement. Environ la moitié de celles qui ne sont pas soignées perdront la vie.

J’ai également vu de grands progrès réalisés en matière d’identification des personnes atteintes de tuberculose et qui manquent à l’appel, c’est-à-dire qui ne sont pas diagnostiquées, pas prises en charge ou pas signalées. En 2019, les investissements du Fonds mondial ont contribué à identifier 1 million de patients « manquant à l’appel » supplémentaires dans 13 pays fortement touchés, par rapport à 2015. Dans les pays où le Fonds mondial investit, le nombre de décès dus à la tuberculose a chuté de 28 % depuis 2002.

Un chargé de programme de l’organisation Hope Gives Care and Support à Anaemy Awka Arambra (Nigeria) assure le suivi à domicile d’un patient atteint de tuberculose pharmacorésistante.
Copyright: Le Fonds mondial / Arinze Nwankwo

Mais les effets du COVID-19 sont pires que ce qu’on imaginait. Le COVID-19 et la tuberculose sont deux maladies respiratoires transmissibles par voie aérienne. Aussi, de nombreuses ressources utilisées dans la lutte contre la tuberculose, telles que les services de laboratoire, le personnel de santé et les cliniques, ont été accaparées par la riposte contre le COVID-19. Et avec les confinements et les autres restrictions, les patients ne peuvent pas se rendre dans les établissements de santé pour se faire tester ou récupérer leurs médicaments.

Les conséquences sont alarmantes. Selon le Rapport mondial 2020 de l’OMS sur la tuberculose, il y aurait eu 105 000 décès liés à la tuberculose de plus qu’en 2019. Le nombre de personnes nouvellement diagnostiquées a chuté de 18 %, ce qui nous ramène à des niveaux comparables à ceux de 2012, environ dix ans en arrière, alors que le nombre de personnes ayant accès à un traitement contre la tuberculose pharmacorésistante a baissé de 15 % au niveau mondial. Les baisses les plus importantes ont été enregistrées dans les pays les plus touchés par la maladie, tels que l’Inde, l’Indonésie, les Philippines et l’Afrique du Sud.

Lorsque les taux de dépistage et de traitement de la tuberculose pharmacorésistante baissent, la transmission augmente, tout comme le nombre de malades et de décès. Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment critique de la lutte contre la forme la plus grave de la maladie, et les vieilles méthodes ne fonctionnent plus.

Premièrement, nous devons innover pour intensifier le dépistage et le diagnostic de la tuberculose. Au lieu d’attendre que les patients se rendent dans les établissements de santé, il faut que des équipes communautaires soient déployées pour dépister les personnes les plus à risque. Parmi elles, il y a les habitants des taudis urbains, des zones reculées et des lieux à forte densité de population, tels que les prisons et les camps de personnes déplacées.

La tuberculose et le COVID-19 doivent faire l’objet d’un dépistage simultané. Ces deux maladies touchent les poumons et entraînent des symptômes similaires, et les mêmes outils peuvent être utilisés pour diagnostiquer les deux maladies.

En dépistant simultanément le COVID-19 et la tuberculose, nous pouvons améliorer le diagnostic précoce et adapter le traitement pour les deux maladies. Le dispositif de riposte au COVID-19 du Fonds mondial permet déjà de financer la mise en œuvre du dépistage bidirectionnel dans de nombreux pays.

À Mumbai, Truenat, un outil conçu et produit en Inde, est utilisé pour diagnostiquer à la fois le COVID-19 et la tuberculose.
Copyright: Le Fonds mondial / Atul Loke / Panos

Le traitement contre la tuberculose pharmacorésistante doit également être décentralisé de toute urgence et rendu accessible dans les communautés et au domicile des patients. C’est un traitement qui est épuisant. Les patients doivent prendre quotidiennement des médicaments qui ont des effets secondaires sévères pendant une durée pouvant aller jusqu’à deux ans, ou recevoir des injections pendant les six premiers mois de traitement ; ils sont parfois hospitalisés pendant plusieurs mois. Pour les patients les plus pauvres ou qui vivent dans les zones les plus reculées – qui sont aussi les plus fréquemment atteints de tuberculose pharmacorésistante – se rendre dans une clinique chaque jour pendant deux ans est extrêmement difficile ; avec la pandémie de COVID-19, c’est la plupart du temps impossible. 

Mais il existe de nouveaux traitements plus courts, qui se prennent par voie orale et qui ont moins d’effets secondaires. Il est urgent que ces traitements soient proposés à toutes les personnes souffrant de tuberculose pharmacorésistante, directement chez elles, et soient accompagnés d’autres services, tels qu’un soutien psychologique et un accompagnement nutritionnel. Si possible, un suivi, un contrôle et un accompagnement à distance par SMS et par appels vidéo doivent être mis en place. 

A radical shift is needed in diagnosis and treatment if we are going to make up the ground we have lost due to COVID-19.

Un changement radical des méthodes de dépistage et de traitement doit être opéré pour nous permettre de rattraper le retard que nous avons accumulé à cause du COVID-19.

Enfin, nous devons utiliser les nouvelles technologies pour faire remonter les données en temps réel. Avec le COVID-19, nous avons vu que c’était possible ; mais pour la tuberculose, l’Inde est l’unique pays à collecter et transmettre des données en temps réel. La communication en temps réel des données relatives aux cas doit devenir la norme partout, à commencer par les pays les plus touchés par la maladie. Grâce à cette pratique, la riposte sera plus éclairée et plus agile.

Les effets du COVID-19 sur la lutte contre la tuberculose sont alarmants, mais j’ai bon espoir qu’ils soient réversibles. S’il y a un véritable engagement, notamment une augmentation des financements, et si des mesures sont prises dès maintenant, nous pourrons progresser plus vite.

Mais le temps joue contre nous. Si nous n’agissons pas maintenant, nous paierons le prix fort dans quelque temps – non seulement il sera extrêmement coûteux de revenir sur la bonne voie, mais le tribut payé à la maladie sera trop lourd.