Pour vaincre le sida, il va falloir se mettre en mode « combat »

07 juillet 2021 par la Dre Vuyiseka Dubula, directrice du Centre africain de gestion du VIH/sida à l'Université de Stellenbosch, Afrique du Sud

J’avais 22 ans quand j’ai été diagnostiquée séropositive, en 2001. A cet âge, on a la vie devant soi.  Mais à cette époque, ce diagnostic était une condamnation à mort. Chaque jour, je pensais que ma dernière heure était venue.

Pourtant, deux mois plus tard, la mort ne m’avait toujours pas emportée. C’est plutôt un camarade qui est venu à moi pour m’emmener dans les locaux de Treatment Action Campaign (TAC), une association sud-africaine qui luttait pour l’accès universel au traitement contre le VIH. C’est là que, pour la première fois, je rencontrais d’autres personnes vivant avec le VIH. C’est aussi là que je comprenais une chose : pour les personnes vivant dans la pauvreté, l’accès aux services de santé est un combat.

Quarante années se sont écoulées depuis les premiers cas de VIH. Au cours de cette période, nous avons réalisé des progrès remarquables. Il y a vingt ans, alors qu’on m’apprenait que j’étais séropositive, la science avait déjà donné à l’humanité des médicaments pour combattre le virus. Cependant, des Sud-Africains comme moi et beaucoup d’autres personnes vivant dans la pauvreté continuaient à mourir par millions. Le traitement antirétroviral, bien que hautement efficace, coûtait près de 10 000 dollars par année, une somme bien au-delà de notre portée.

Pour rendre cette thérapie accessible aux personnes vivant dans la pauvreté, nous avons dû nous battre. TAC m’a fait découvrir cette lutte pour la justice sociale. Pour la plupart des membres du TAC, qui avaient des amis ou des proches parents touchés par la maladie, c’était une question de vie ou de mort. À l’époque, en Afrique du Sud, les dirigeants rejetaient la science du traitement antirétroviral et abandonnaient les gens à leur triste sort.

Les militants du monde entier sont descendus dans la rue par milliers. Nous avons manifesté pour les millions de personnes condamnées à mort. Nous avons fustigé les gouvernements négligents et les sociétés pharmaceutiques plus soucieuses de leur profit que de la vie humaine. Nous avons exigé des mesures garantissant l’accès universel au traitement. Nous avons exigé l’équité.

Nous avons exigé la création d’un fonds populaire qui aurait pour mission d’assurer à chaque individu, quelle que soit sa classe sociale, son appartenance ou sa couleur,  un accès au traitement dont il a besoin pour rester en vie. À l’époque, l’idée même d’un mécanisme mondial consacré à l’accès au traitement pour les personnes vivant dans la pauvreté semblait invraisemblable. Certains estimaient même que les personnes vivant dans la pauvreté en Afrique n’étaient pas suffisamment alphabétisées pour suivre un tel traitement. Mais nous avons persévéré. Notre insistance a conduit à une action politique et à la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme – un fonds populaire doté d’une structure de gouvernance faisant intervenir la société civile, les communautés et les personnes touchées par les maladies.

Son impact fut immédiat. En Afrique du Sud comme dans de nombreux autres pays, le Fonds mondial a financé les premières initiatives de traitement et instauré les infrastructures connexes, catalysant ainsi le mouvement pour un traitement universel. En 2004, je comptais parmi les nombreuses personnes commençant un traitement qui allait sauver leur vie.

Le partenariat du Fonds mondial, qui célèbre ses 20 ans cette année, a changé la donne. Vingt ans et 38 millions de vies sauvées plus tard, le partenariat continue de remplir son mandat.

 Mais e combat n’est pas terminé. Bien que des millions de personnes soient aujourd’hui sous traitement antirétroviral, beaucoup n’ont toujours pas cette chance. En 2020, les maladies liées au sida ont fait près de 700 000 victimes, et on comptait plus de 1,5 million de nouvelles infections au VIH. C’est absolument inacceptable.

Les obstacles auxquels nous faisons face aujourd’hui sont des politiques restrictives et le manque de perspectives économiques, ainsi que des problèmes de rejet social et de discrimination profondément ancrés dans les sociétés. Pour surmonter ces obstacles, les militants devront reprendre le combat avec une ardeur renouvelée. La voie à suivre est claire : nous devons exhorter les gouvernements et les dirigeants du monde entier à en faire davantage.

En faire davantage, cela signifie, pour les gouvernements, offrir des perspectives d’avenir aux populations les plus vulnérables, notamment les jeunes femmes et les filles. En faire davantage, c’est protéger et décriminaliser les populations clés, comme les travailleurs et travailleuses du sexe, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les personnes transgenres et les personnes qui consomment des drogues. Et par-dessus tout, les gouvernements doivent en faire davantage pour réduire les inégalités de toutes sortes qui contribuent à prolonger la présente pandémie et les autres épidémies.

Nous entrons dans une deuxième phase de revendications, et ce n’est qu’un commencement. Au cours des huit prochaines années – alors que nous tenterons de vaincre l’épidémie de VIH d’ici 2030 – nous devrons exhorter les autorités à agir avec plus d’insistance que jamais. Les militants doivent mieux s’organiser et se battre avec plus d’acharnement pour mettre en branle un mouvement qui non seulement vaincra le sida, mais lèvera aussi tous les obstacles à l’accès aux médicaments, aux vaccins et aux diagnostics essentiels pour la lutte contre les épidémies actuelles, le COVID-19 et les pandémies à venir.

C’est dans l’unité que nous atteindrons notre but. L’expérience des deux dernières décennies nous a appris que la force de chaque personne contribue au changement. 

Nous avons également appris durant cette période que chaque personne peut déployer son plein potentiel pour peu qu’on lui en donne la chance. La jeune femme de 22 ans qui était sur le point de mourir il y a 20 ans est aujourd’hui une femme qui a un mari et deux enfants – et les trois sont séronégatifs. Il y a vingt ans, je n’avais qu’un certificat d’études secondaires. Le mois dernier, je portais la toge et le mortier pour recevoir mon doctorat.

J’ai parcouru un long chemin, et je ne cesserai jamais d’élever ma voix et de me battre pour que d’autres personnes puissent avoir cette chance.

Des extraits de cette tribune libre ont été publiés par TV5Monde.