Entretien avec le Dr Gambo Aliyu, directeur général de l’Agence nationale de lutte contre le sida (NACA) du Nigéria

05 août 2021

Dr Gambo Aliyu

Lorsque le COVID-19 a frappé le Nigéria en 2020, le pays s’est mis en confinement. Alors que les systèmes de santé étaient submergés par le virus, nombre d’établissements cliniques se sont rapidement transformés en centres d’isolement COVID-19, délogeant du même coup d’autres services de santé vitaux, notamment des services pour la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Le Nigéria a toutefois tiré d’importantes leçons de cet épisode et, aujourd’hui, il enregistre de meilleurs résultats que jamais.

Nous en avons discuté avec le Dr Gambo Aliyu, directeur général de l’Agence nationale de lutte contre le sida (NACA), un récipiendaire principal du Fonds mondial qui coordonne les activités et les programmes de lutte contre le VIH/sida au Nigéria.

Comment les systèmes de santé du Nigéria ont-ils aidé le pays dans sa riposte à la pandémie de COVID-19 ?

Lorsqu’il est question de l’impact du COVID-19 sur le VIH, la tuberculose et le paludisme, on pense généralement à la période du confinement et aux interruptions de services. Cependant, je voudrais parler d’abord de l’impact du VIH sur le COVID-19, avant de parler de l’impact du COVID-19 sur le VIH. Pourquoi? Parce que sans l’infrastructure de lutte contre le VIH déjà sur pied, je ne sais pas comment le Nigéria serait parvenu à gérer le COVID-19. Je ne sais pas où en serait le Nigéria à l’heure actuelle.

Nous avions déjà à pied d’œuvre un système de transport des échantillons sur le terrain, une chaîne d’approvisionnement, 27 laboratoires de réaction en chaîne par polymérase (PCR) pour le VIH, des ressources humaines dans nos établissements de services de santé et environ 25 000 bénévoles et travailleurs communautaires formés et fournissant des services pour la lutte contre le VIH. Tous ces éléments ont été mobilisés pour soutenir la riposte au COVID-19, et le Nigéria a pris la pandémie de front. Par exemple, nous avons instauré un système de quarts de travail dans nos 27 laboratoires : nous testions les échantillons pour le VIH pendant la journée, et ceux pour le COVID-19 pendant la nuit. Nous avons également instauré un système parallèle de transport d’échantillons pour le COVID-19, calqué sur notre système existant pour le VIH. Voilà comment notre infrastructure de lutte contre le VIH nous a aidés à gérer la pandémie de COVID-19.

Comment avez-vous atténué les impacts du COVID-19 sur les programmes de lutte contre le VIH ?

Nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas continuer à lutter contre le COVID-19 au détriment des services de lutte contre le VIH. Il fallait changer d’approche. Étant donné que les patients avaient déserté les établissements de santé et que certains de ces établissements avaient été transformés en centres d’accueil et d’isolement des patients atteints du COVID-19, il a fallu déplacer les programmes de lutte contre le VIH dans la communauté. C’est ce qui a conduit à une grande progression dans notre riposte au VIH : en effet, quand nous avons déplacé les services dans la communauté, nous avons décidé d’adopter un modèle de services intégrés. Dans ce modèle, les agents de santé communautaires qui recherchent les cas de COVID-19 recherchent en même temps les cas de VIH et de tuberculose.

Les agents de santé communautaires ont fait du porte-à-porte pour offrir des services de lutte contre le COVID-19, le VIH et la tuberculose, en informant au passage les gens sur ces maladies et en dirigeant les cas suspectés vers les centres de dépistage. Par exemple, une personne aux prises avec une toux était dirigée vers un test de dépistage du COVID-19 et de la tuberculose. Nos agents de santé communautaires et nos bénévoles sensibilisaient aussi les gens à l’importance de connaître leur statut sérologique et les informaient sur les risques accrus de complications du COVID-19 chez les personnes séropositives. Ces mesures ont été très bien accueillies dans la population; les gens ont commencé à comprendre l’intérêt de connaître leur statut sérologique et à agir en conséquence.

En quoi l’offre de services de santé intégrés dans les communautés a-t-elle influé sur la lutte contre le VIH ?

Notre approche intégrée s’est révélée un succès phénoménal. En offrant des services de proximité, en faisant du porte-à-porte, nous avons élargi la couverture des services de santé, et les agents de santé communautaire ont pu faire de la sensibilisation proactive pour combattre le rejet social et la désinformation. Les gens ont maintenant la chance de connaître leur statut sérologique, et les personnes séropositives peuvent être dirigées vers un traitement. Il y a eu un effet d’entraînement. De plus en plus de gens se font tester, parce qu’ils ont désormais accès à des services près de chez eux et la possibilité d’interagir avec les agents de santé. Je crois que c’est la clé du succès.

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Dès juillet 2020, nous étions revenus à la situation d’avant le COVID‑19 en termes de détection de cas de VIH. À la fin de 2020, les résultats dépassaient largement les attentes. Avec le recul, nous constatons les effets de notre détection de cas, particulièrement au niveau communautaire, et ils sont phénoménaux. On estime à 1,8 million le nombre de personnes vivant avec le VIH au Nigéria. Il est vital de trouver ces personnes pour les placer sous traitement. Avant le COVID‑19, nous détections à peine 50 à 60 000 personnes vivant avec le VIH par année, en moyenne. Au cours des 18 derniers mois, grâce à nos systèmes communautaires intégrés, nous avons détecté et dirigé vers un traitement 350 000 personnes vivant avec le VIH, ce qui porte le nombre total de personnes séropositives identifiées à 1,6 million. Nous avons fait un pas de plus vers la maîtrise du VIH au Nigéria.

Comment le Fonds mondial a-t-il aidé le Nigéria dans sa riposte à la pandémie de COVID-19 ?

Grâce au dispositif de riposte au COVID-19 (C19RM) du Fonds mondial, le Nigéria a renforcé ses systèmes de santé, qui sont désormais mieux préparés à intervenir en cas d’épidémie. Le réseau national de laboratoires est passé de 27 établissements pouvant effectuer des tests de réaction en chaîne par polymérase (PCR) à près de 100, avec au moins un laboratoire dans chaque État. Le système de transport et d’entreposage des échantillons est maintenant coordonné à l’échelle du pays. Le nombre de techniciens de laboratoire formés a quadruplé, ce qui est un atout critique, non seulement pour la lutte contre le COVID-19, mais contre les autres maladies. Nous réparons et construisons des installations d’oxygène partout dans le pays, renforçant ainsi nos approvisionnements en oxygène et notre capacité d’oxygénothérapie.

Le concours précieux du Fonds mondial a permis au Nigéria de construire des infrastructures et de renforcer ses systèmes de santé afin de se préparer aux épidémies après le COVID-19. Mais d’abord et avant tout, nous avons compris que ce qui fonctionne le mieux, ce sont les services intégrés. Aller sur le terrain, dans la communauté, pour offrir des services intégrés : voilà la leçon que nous avons apprise et la pratique que nous avons adoptée. Ce sera notre marche à suivre pour l’avenir.

Le Fonds mondial travaille en partenariat avec le Nigéria depuis 2003 et a décaissé 2 758 770 073 dollars US pour la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et le renforcement des systèmes résistants et pérennes pour la santé. En outre, par l’entremise de son dispositif de riposte au COVID-19, le Fonds mondial a fourni au Nigéria une somme supplémentaire de 59 713 981 dollars US en 2020 pour sa lutte contre le COVID-19, l’adaptation des programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et le renforcement des systèmes de santé. Pour en savoir plus sur la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme au Nigéria, visitez notre explorateur de données (en anglais).