La lutte contre le paludisme est un gage de santé, de sécurité et de prospérité pour tout le monde

Le 23 avril 2025 par Peter Sands, directeur exécutif

Il y a quelques mois, les réseaux de la santé mondiale étaient en état d’alerte en raison d’une maladie mystérieuse soudainement apparue dans une région éloignée de la République démocratique du Congo (RDC). L’épidémie semblait échapper à toute définition – elle se propageait dans des secteurs reculés du pays et frappait en majorité, et avec une violence surprenante, des enfants de moins de cinq ans. Les patients souffraient d’un cocktail de symptômes : fièvre, maux de tête, toux et, dans certains cas, difficultés respiratoires. La maladie se transmettait rapidement ; en quelques semaines, elle avait infecté des centaines de personnes et fait des dizaines de victimes. Dans un climat de panique grandissant, les autorités sanitaires mondiales l’ont vite nommée « maladie X » – un mot-valise servant à désigner tout agent pathogène inconnu susceptible d’entraîner des conséquences similaires à celles du COVID-19.

Après avoir été dépêchée d’urgence sur les lieux pour collecter des échantillons et enquêter sur l’épidémie, une coalition de partenaires de la santé, dirigée par le gouvernement de la RDC, a découvert que la maladie X n’était pas causée par un nouvel agent pathogène. Il s’agissait en fait d’une souche particulièrement virulente du paludisme causant les symptômes d’une maladie respiratoire. Compliquée par la malnutrition, qui affaiblit le système immunitaire, une maladie ancestrale était devenue encore plus meurtrière.

Cet incident nous rappelle brutalement l’urgence de deux réalités. Premièrement, le paludisme est toujours une maladie mortelle, qui prend la vie d’un enfant presque chaque minute. Son élimination sauverait la vie de millions d’enfants et de femmes enceintes. Deuxièmement, la lutte contre le paludisme ne se résume pas à sauver des vies aujourd’hui – elle contribue également à renforcer la sécurité sanitaire mondiale et à rendre le monde un peu plus sûr pour toutes et tous. Cette maladie meurtrière demeure une grave menace pour chacun d’entre nous, où que nous vivions. L’envisager à travers le prisme habituel de l’aide humanitaire ne suffit plus ; son élimination doit être considérée comme un enjeu de sécurité sanitaire et une opportunité économique.

Comme nous l’avons constaté en RDC, même les maladies que nous pensions bien connaître peuvent poser des difficultés imprévues. Nous avons les moyens de prévenir et de traiter le paludisme ; il n’y a aucune raison de le laisser resurgir sans rien faire. Pour nous protéger des futures pandémies, nous devons de toute urgence mettre fin aux maladies qui tuent des personnes aujourd’hui, en préparant un avenir où une maladie X ne pourra pas évoluer à partir d’une maladie infectieuse existante.

Les infrastructures et les capacités de santé qui sont mises en place pour la lutte contre le paludisme, comme les chaînes d’approvisionnement de produits médicaux, les laboratoires, les réseaux d’agentes et agents de santé communautaires et la surveillance des maladies, sont aussi celles qui détecteront et combattront les prochaines épidémies.

Prenons comme exemple la surveillance des maladies : dans une région où le paludisme est endémique, la plupart des personnes qui se présentent à un dispensaire rural typique sont atteintes du paludisme. On recense plus de 250 millions de cas de paludisme chaque année, dont 94 % en Afrique. Diagnostiquer précisément le paludisme est un moyen d’écarter ou d’identifier des épidémies d’autres maladies. Ainsi, plus la capacité de diagnostic du paludisme est avancée, plus la capacité globale de surveillance de toutes les maladies et la sécurité sanitaire sont avancées elles aussi.

D’un point de vue plus général, le paludisme submerge souvent les systèmes de santé dans les zones les plus touchées, une portion importante – et dans certains cas la majorité – des activités des structures de santé étant mobilisées par cette seule maladie. Dans ces contextes, il est extrêmement difficile de répondre aux autres besoins urgents en matière de santé, et encore plus d’identifier et de combattre les nouvelles menaces. Au pic de la pandémie, la lutte contre le COVID-19 a évacué d’autres priorités en matière de santé, avec des conséquences persistantes qui impactent encore de nombreux systèmes de santé, même dans les pays les plus riches. Dans les pays les plus durement touchés, le paludisme provoque ces impacts en permanence. Investir dans la lutte contre le paludisme est un excellent moyen de libérer les capacités des systèmes de santé, afin que ceux-ci puissent répondre à d’autres besoins urgents et s’attaquer à la menace des nouveaux agents pathogènes.

Les investissements dans la lutte contre le paludisme font bien plus que sauver des vies – ils stimulent la productivité et génèrent des opportunités économiques. Il a été largement démontré que la réduction du fardeau du paludisme dans les pays où la maladie est endémique s’accompagnerait d’une croissance économique substantielle. Selon une récente étude, un retour sur la voie de l’élimination du paludisme entre 2023 et 2030 pourrait faire grimper le PIB de ces pays de 142,7 milliards de dollars US. Et les avantages ne s’arrêteraient pas là : le commerce international pourrait augmenter de 80,7 milliards de dollars US durant cette période, dont 3,9 milliards de dollars US en exportations additionnelles pour les pays du G7.

Mettre fin au paludisme est plus qu’une juste cause ; c’est un choix judicieux. Si sauver la vie de centaines de milliers de jeunes enfants et de femmes enceintes ne leur semble pas un motif suffisant pour investir, peut-être les donateurs mondiaux seront-ils sensibles au fait que leur propre sécurité et leur prospérité sont aussi tributaires de l’élimination du paludisme.

L’heure est venue de redoubler d’efforts pour mettre fin au paludisme. Le progrès contre le paludisme stagne depuis quelques années en raison d’une combinaison de facteurs, comme les conflits violents, les phénomènes météorologiques extrêmes, le plafonnement du financement et la progression de la résistance aux médicaments et aux insecticides. Tout affaiblissement de l’engagement politique ou du financement risque de causer de graves reculs. Mais si nous parvenons à porter à grande échelle les innovations, à gagner en efficacité et – peut-être le point le plus important – à garder le rythme des investissements, nous pourrons vaincre cette maladie une fois pour toutes.

Ce n’est pas le moment de lever le pied. Si nous ralentissons maintenant, nous risquons de voir disparaître les progrès que nous avons tant peiné à réaliser. Au contraire, c’est le moment de réitérer notre engagement à mettre fin au paludisme. Investir dans la lutte contre le paludisme est l’un des moyens les plus économiques et efficaces de sauver des vies, d’améliorer les résultats en matière de santé dans certaines des communautés les plus pauvres du monde et de bâtir un avenir plus sûr et plus prospère pour nous tous.

Cet article d’opinion a été originalement publié dans Forbes.