
Une occasion extraordinaire se présente à nous : celle de mettre fin à la pandémie de sida et d’éliminer le VIH en tant que menace pour la santé publique. Plus de 40 millions de personnes ont été emportées par le sida ces dernières décennies, et 39 millions de personnes vivent actuellement avec le VIH. Mais aujourd’hui, nous pourrions connaître la première génération d’enfants grandissant sans la menace de contracter le VIH. Cela constituerait un accomplissement historique.
Grâce à la science, cet objectif est atteignable. Les données sont irréfutables. La question qui se pose est de savoir si nous aurons le courage de saisir cette occasion.
À l’heure actuelle, le nombre de personnes qui succombent chaque jour à des maladies liées au sida représente l’équivalent de plusieurs vols complets d’avions gros porteurs : 630 000 décès pour la seule année 2023. Au cours de la même année, on a dénombré 1,3 million de nouvelles infections à VIH. Ce ne sont pas de simples statistiques. Ce sont des enfants, des parents, des amis, des voisins.
Certes, nous avons accompli des progrès considérables face au VIH, le nombre de décès ayant reculé de plus de 73 % depuis 2002 dans les pays où le Fonds mondial investit. Néanmoins, il ne faut pas céder à l’autosatisfaction et à la politique des petits pas. Nous nous sommes peut-être trop habitués à traiter le VIH et le sida comme des maladies chroniques qu’il suffit de maîtriser plutôt que comme une crise à laquelle il faut mettre un terme. Or les épidémies ne disparaissent pas lorsque nous cessons d’y prêter attention. Elles prennent fin lorsque nous regardons la dure réalité en face, que nous poursuivons les efforts qui fonctionnent et que nous refusons de nous contenter de quoi que ce soit d’autre que la victoire.
C’est en matière de prévention que nous essuyons l’échec le plus criant. Malgré les progrès considérables enregistrés en matière d’accès au traitement, dont bénéficient aujourd’hui près de 30 millions de personnes, la prévention du VIH a atteint un plafond. C’est inacceptable, en particulier pour les adolescentes et les jeunes femmes d’Afrique subsaharienne, qui représentent trois quarts des nouvelles infections dans leur tranche d’âge respective. On n’est jamais arrivé à bout d’une épidémie sans enrayer la transmission.
C’est ce qui rend l’arrivée de la prophylaxie préexposition à longue durée d’action si cruciale. Le lénacapavir, un antirétroviral administré deux fois par an par injection pour prévenir le VIH, pourrait changer la donne pour les personnes touchées, mais également pour la santé publique. Pour les jeunes femmes qui sont confrontées au rejet social parce qu’elles doivent prendre des comprimés tous les jours, ou pour les populations clés qui vivent sous la menace de poursuites pénales, le lénacapavir est synonyme de discrétion, de durabilité et de dignité.
Le 9 juillet 2025, le Fonds mondial a annoncé un contrat avec Gilead, le fabricant du lénacapavir, destiné à garantir un accès abordable à cette innovation révolutionnaire dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. En collaboration avec nos partenaires, nous aspirons à mettre le lénacapavir à la disposition de deux millions de personnes au cours des trois prochaines années. Le Fonds mondial collabore d’ores et déjà avec les pays, les communautés et les partenaires à l’appui des approbations réglementaires, de l’infrastructure de mise en œuvre et de la mobilisation communautaire nécessaires en vue d’un déploiement rapide et équitable.
Cependant, les innovations biomédicales comme le lénacapavir ne peuvent faire la différence que si elles parviennent aux personnes qui peuvent en bénéficier le plus. Étant donné que 70 % des nouvelles infections à VIH se produisent parmi les populations clés et leurs partenaires sexuels, il est nécessaire de lever les obstacles à l’accès auxquels ces communautés sont souvent confrontées. Si nous ne luttons pas contre la stigmatisation, la discrimination et la criminalisation, nous ne pourrons pas tirer pleinement parti du potentiel du lénacapavir.
Il est primordial de donner aux communautés les moyens de prendre l’initiative en matière de prévention du VIH : lorsqu’elles prennent les devants, les résultats s’améliorent ; lorsqu’elles sont écartées, le nombre d’infections progresse. C’est pourquoi le Fonds mondial fait passer une grande partie de ses investissements consacrés à la prévention du VIH – un tiers environ des dépenses totales de lutte contre le virus – par les réseaux de la société civile à même d’atteindre les personnes les plus exposées au risque.
Il est également crucial de réduire le nombre de nouvelles infections pour assurer la pérennité à long terme de la lutte contre le VIH. Les pays doivent progresser plus rapidement vers une riposte au VIH dirigée et financée au niveau national, qui ne dépend plus d’un soutien externe. Or, cette transition est un cheminement, elle ne se fait pas du jour au lendemain. Une transition trop brusque ferait dérailler les progrès, au détriment des personnes et de millions de vies perdues. Plus le taux de nouvelles infections est faible, plus la transition vers l’autonomie des pays sera rapide et viable. Assumer la responsabilité d’un problème sanitaire de longue haleine mais en déclin est une entreprise bien plus gérable que de s’attaquer à un problème qui continue de progresser rapidement.
C’est pourquoi nous considérons le lénacapavir comme une partie intégrante de notre stratégie de pérennité et de transition. C’est également la raison pour laquelle le Fonds mondial aide les pays à mettre en place des systèmes qui nous survivront, notamment en matière de prestation de services intégrés, de chaînes d’approvisionnement solides, de capacités des personnels de santé et de systèmes de données numériques.
Réduire le financement consacré à la prévention retarderait la fin de la pandémie de sida et coûterait un grand nombre de vies supplémentaires. Cela retarderait aussi l’affranchissement vis-à-vis du financement externe. Mettre fin au sida est l’un des objectifs de santé mondiale les plus atteignables et au meilleur rapport coût-efficacité. Chaque dollar US investi dans la prévention du VIH permet d’économiser 7 dollars US qui n’auront pas à être dépensés plus tard en traitements et en soins. Soit nous payons maintenant pour en finir avec l’épidémie, soit nous en paierons le prix sur le plan humain et économique pendant des décennies.
Cela n’est pas qu’un défi technique, ce sont nos valeurs qui sont mises à l’épreuve. Pensons-nous qu’une fille née dans le Malawi rural mérite les mêmes chances de vivre sans le VIH qu’une fille née à Manchester ou à Minneapolis ? Sommes-nous d’avis que l’accès aux services vitaux ne devrait pas dépendre de qui on est, de qui on aime ou d’où on vit ?
La première génération sans sida n’est pas un rêve. C’est un choix. Mais ce choix exige que nous agissions avec urgence, clarté et courage – pas l’an prochain, mais maintenant. Les livres d’histoire ne diront pas si nous avons bien ou mal maîtrisé le sida, ils diront si nous y avons mis fin.
Cet article d’opinion a été originalement publié dans Forbes.