Transformer la santé mondiale pour maximiser l’impact et accélérer le progrès vers l’autosuffisance
Au cours des deux dernières décennies, des progrès extraordinaires ont été accomplis en santé mondiale. Des dizaines de millions de vies ont été sauvées. Des réductions drastiques de la mortalité et des hausses marquées de l’espérance de vie ont été enregistrées, jusque dans les pays les plus pauvres.
Mais le contexte a changé. Les donateurs réduisent leurs financements pour l’aide. Les pays qui mettent en œuvre les programmes souhaitent prendre l’initiative. Les communautés exigent davantage d’autonomie. Le modèle qui nous a permis d’accomplir des progrès extraordinaires n’est pas celui qui nous fera progresser davantage.
Pour s’adapter à cette nouvelle réalité, il faut transformer l’écosystème de la santé mondiale : le rendre plus efficace, à l’écoute des pays, intégré et innovateur.
Le partenariat du Fonds mondial a été créé il y a un peu plus de vingt ans pour combler un fossé béant dans le système existant. Ce partenariat public-privé unique, conjuguant le pouvoir des gouvernements avec la passion des communautés, la portée de la société civile et le pragmatisme du secteur privé, a connu un succès extraordinaire : 70 millions de vies ont été sauvées et le taux de mortalité combiné du sida, de la tuberculose et du paludisme a été réduit de 63 %.
Aujourd’hui, nous devons nous réinventer : tirer le maximum de chaque dollar investi, accompagner les pays sur la voie de l’autosuffisance et contribuer à la transformation de l’écosystème de la santé mondiale.
Maximiser l’impact de chaque dollar
Maximiser l’impact de chaque dollar signifie de rendre les innovations qui sauvent de vies accessibles rapidement et à un prix abordable. Nous le faisons avec le lénacapavir, un nouvel outil de prévention du VIH à longue durée d’action efficace à 100 %. Pour la première fois de l’histoire, un nouveau médicament de prévention du VIH sera introduit simultanément dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et dans les pays à revenu élevé. Les premières livraisons pour l’Afrique arriveront à destination ce mois-ci. Une version générique, moins coûteuse, sera disponible d’ici peu.
Nous avons adopté une approche similaire pour la nouvelle génération de moustiquaires, qui offrent une protection contre le paludisme 45 % plus efficace que les moustiquaires conventionnelles pour seulement 70 cents de plus l’unité, ainsi que pour la radiographie numérique assistée par l’IA, qui facilite le dépistage avancé de la tuberculose dans certains des contextes les plus difficiles et reculés.
En travaillant avec nos partenaires, nous pouvons agir encore plus vite. Quand il est question de déployer ce genre d’innovation, le temps se compte en vies sauvées. L’impact est fonction de l’échelle de l’intervention. Nous n’avons pas les moyens de mener des projets pilotes qui durent des années ou des déploiements à petite échelle.
Cela dit, les innovations n’amélioreront pas les résultats en matière de santé si les personnes censées en bénéficier n’y ont pas accès. Les prix prohibitifs, les systèmes de santé fragiles, la stigmatisation et la discrimination sont toujours d’immenses obstacles. Les surmonter n’est pas seulement une question d’équité en santé ou de droits humains ; c’est un impératif épidémiologique et économique. Lorsque les innovations n’atteignent pas les personnes les plus à risque, l’impact est limité et nous gaspillons des ressources.
Maximiser l’impact de chaque dollar signifie également de décloisonner les approvisionnements en produits de santé et les mécanismes de lutte contre les maladies. Une approche plus intégrée et centrée sur la personne, qui englobe les maladies infectieuses en plus des maladies non transmissibles et de la santé mentale, peut produire de meilleurs résultats à moindre coût – à condition qu’elle soit mise en œuvre adéquatement. L’intégration des capacités de lutte contre de multiples agents pathogènes dans les interventions spécifiques à une maladie renforce nos défenses de première ligne contre les menaces sanitaires émergentes. Ces transformations ont de profondes implications pour le Fonds mondial. Nous devons, en concertation avec nos partenaires, remodeler les programmes et leur exécution, sans diluer leur impact sur les maladies.
L’amélioration continue de l’efficacité est une autre considération essentielle. Avec un budget de fonctionnement équivalant à environ 6 % des fonds décaissés par les donateurs, le Fonds mondial est déjà très efficace. Mais en nous appuyant sur les technologies, y compris l’IA, pour rationaliser et automatiser davantage les processus, nous pouvons réduire les coûts de 20 % encore, tout en allégeant la tâche pour les pays partenaires.
Accélérer le progrès vers l’autosuffisance
Les coupures soudaines dans le financement externe mettent en évidence l’impératif pour les pays d’accélérer leur cheminement vers l’autosuffisance. Mais il s’agit bien d’un processus de transition ; cela ne peut se faire du jour au lendemain. Un changement trop brusque fera dérailler les progrès et coûtera des millions de vies. Le degré de préparation à la transition varie énormément d’un pays à l’autre.
En partenariat, le Fonds mondial aidera les pays à atteindre l’autosuffisance plus rapidement – en leur apportant son appui, en leur offrant des incitations et, à terme, en leur laissant la voie libre.
Voilà pourquoi nous avons révisé nos plans de transition et de cofinancement. Nous conviendrons avec certains pays d’un calendrier qui fera de l’actuel cycle de subvention triennal leur dernier. Avec d’autres, le parcours de transition pourra s’étaler sur deux cycles de subvention. Nous élaborerons des plans de transition robustes avec les gouvernements de tous les pays, à l’exception des plus pauvres et ravagés par des conflits.
Pour appuyer la transition, nous aidons les pays à renforcer leurs systèmes de gestion des finances publiques et allons puiser dans de nouvelles sources de financement. Nous avons déjà conclu 14 échanges dette-santé Debt2Health et 14 transactions de financement mixte. Nous appuyons directement le développement de régimes nationaux d’assurance maladie dans plusieurs pays.
Nous comptons également aider les pays à continuer d’acheter des médicaments abordables et de qualité garantie avec leurs propres fonds, en facilitant leur accès continu à notre mécanisme d’achat groupé. En effet, les pays en transition doivent souvent composer avec des prix beaucoup plus élevés et des coûts de transactions importants, qu’ils peuvent éviter s’ils tirent parti de notre vaste pouvoir d’achat et de notre plateforme d’achats en ligne. En offrant un préfinancement et en collaborant avec des plateformes d’achats régionales, nous élargissons l’éventail d’options pour les pays.
Bien entendu, pour certains pays aux prises avec des crises économiques, des conflits et des problèmes de gouvernance conjugués à une forte charge de morbidité, la perspective d’une transition vers l’autosuffisance semble plus lointaine. Pourtant, même dans ces pays, la pérennité doit être le mot d’ordre, car il importe de les aider à bâtir les systèmes et les capacités qui seront les fondements de leur développement futur.
L’aide au développement de la santé demeure essentielle – pour vaincre les maladies les plus meurtrières, accompagner les pays sur la voie de l’autosuffisance et renforcer la sécurité sanitaire mondiale. Les pays qui ont le plus bénéficié de la mondialisation ont aussi la responsabilité d’investir dans des biens publics mondiaux comme la santé – non seulement par générosité, mais dans leur propre intérêt. Dans un même temps, nous devons trouver des manières plus judicieuses de combiner les subventions, les ressources financières nationales et le capital privé pour ouvrir la voie à l’autosuffisance.
Transformer l’écosystème de la santé mondiale
Le Fonds mondial est issu d’un bouleversement, du constat que l’ordre établi était trop lent, excessivement bureaucratique et en rupture avec les réalités du terrain. Cette même impatience doit nous animer aujourd’hui.
Pour s’adapter aux nouvelles réalités, le Fonds mondial s’apprête à apporter des changements fondamentaux à son modèle : réduire les dépenses, simplifier sa manière de fonctionner et mieux répondre aux besoins des pays. Nous reconnaissons également que c’est l’écosystème de la santé mondiale au grand complet qui doit être transformé, et que nous avons un rôle à jouer pour que cette transformation devienne réalité.
Bien qu’il ait connu beaucoup de succès, cet écosystème est devenu beaucoup trop complexe et fragmenté. La redondance et la bureaucratie alourdissent la tâche des pays et minent l’impact. Nous devons rationaliser l’architecture – fusionner ou dissoudre des organisations si nécessaire, clarifier les rôles et changer notre façon de travailler ensemble et avec les pays.
En tant que plus important mécanisme multilatéral de financement de la santé mondiale, autant pour les trois maladies que pour les systèmes de santé en général, le Fonds mondial dispose d’actifs qui pourraient être mis à profit à plus grande échelle – par exemple, nos capacités d’orientation des marchés, notre plateforme mondiale d’achats et notre rôle unique de renforcement des systèmes communautaires pour la santé. Cela dit, la transformation du mandat et des priorités du Fonds mondial ne se fera pas en vase clos, mais bien dans le cadre d’une vision plus globale du devenir de l’écosystème de la santé mondiale englobant l’OMS, Gavi, les organismes spécialisés dans la lutte contre une maladie unique comme l’ONUSIDA, des partenariats de développement de produits comme Unitaid et CEPI, et nos partenariats avec la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales de développement.
Le retour aux approches bilatérales, trop complexes et peu efficaces, n’est pas la solution. Le renforcement de notre système multilatéral est la meilleure option – mais seulement si nous sommes prêts à faire des choix difficiles. Confrontés à d’inévitables contraintes financières, nous devons identifier avec rigueur les domaines où le financement externe ajoute le plus de valeur, et trouver la meilleure répartition des rôles entre les organisations, sur la base de l’avantage comparatif. Et il y a la manière. La transformation de la santé mondiale ne saurait être télégraphiée depuis Genève ou New York. Elle doit tenir compte de la volonté des communautés, des pays et des organisations régionales comme l’Union africaine.
Du bouleversement à la réinvention
Les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies ont montré ce qui peut être accompli en santé mondiale lorsque le monde travaille de concert. Avec un discours dominant marqué par le scepticisme, le nationalisme et des approches plus transactionnelles, les simples faits – des dizaines de millions de vies sauvées, des chutes drastiques de la mortalité, de formidables hausses de l’espérance de vie, d’immenses retombées économiques – suffisent à nous rappeler que l’ambition et l’action concertée peuvent produire des résultats extraordinaires.
Pourtant, le modèle qui a fonctionné jusqu’à présent doit changer. Les progrès réalisés au cours des vingt dernières années sont l’un des plus grands accomplissements de l’humanité en matière de santé publique. Nous verrons, au cours des vingt prochaines, si nous pouvons être aussi audacieux pour réinventer le système que nous l’avons été pour le créer.
Le choix est simple : évoluer ou péricliter. Nous devons nous adapter à de nouvelles réalités, avec courage, en protégeant ce qui a rendu le succès possible sans pour autant rester figés dans le passé. Et surtout, nous devons rester fidèles à nos objectifs : sauver des vies, débarrasser le monde des maladies infectieuses les plus meurtrières et bâtir des systèmes de santé véritablement universels qui font du monde un endroit plus sûr. Aucun défi n’est insurmontable pour une humanité solidaire.
Cet article d’opinion a été originalement publié dans Forbes.