Le silence nuit à la santé des femmes

05 juin 2019 par Linda Mafu, directrice du département du plaidoyer politique et de la société civile, Fonds mondial

Comment peut-on dynamiser cet esprit et cet élan pour soutenir les femmes les plus vulnérables partout dans le monde afin de leur donner le pouvoir dont elles ont besoin pour rompre le silence qui va de pair avec l’oppression ?

De puissantes forces de changement ont balayé la planète depuis deux ans et le début du mouvement #MeToo, qui a fait des agressions et du harcèlement sexuels généralisés l’exemple même des difficultés auxquelles se heurtent les femmes de nos jours. Ce mouvement a contribué à lever les obstacles qui assujetissent les femmes au travail et chez elles.

D’aucuns ont qualifié la fondatrice du mouvement #MeToo, Tarana Burke, et celles qui, comme elle, militent contre les violences sexuelles de « briseuses de silence ». Pour moi, cela n’est pas sans rappeler le slogan des débuts du mouvement anti-sida : Silence = Mort.

On m’a déjà imposé le silence. Un jour, alors que j’étais une petite fille de huit ans en Afrique du Sud, un membre de ma famille âgé de 24 ans a abusé de moi sexuellement. Au début, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait. J’étais trop jeune. Quand j’ai parlé à mon père et à ma belle-mère en peinant pour mettre des mots ce qui m’arrivait, ils ont été horrifiés – pas par ce qu’il avait fait, mais par ce qu’ils disaient être des accusations mensongères.

Ils m’ont battue et m’ont intimé l’ordre de me taire. Mon agresseur, un proche, n’a pas eu besoin d’une autre autorisation pour commencer à me violer. Cela a commencé la nuit-même où mes parents m’ont réduite au silence. Ensuite, pratiquement chaque nuit, pendant neuf ans, cet homme m’a violée. La douleur et le traumatisme psychologique dépassaient largement les mots que je pouvais trouver pour les exprimer.

Un jour, alors que j’avais 17 ans, le silence est devenu trop pesant. Dans la petite cuisine de ma famille, cet homme s’est de nouveau approché de moi et j’ai explosé. Je l’ai frappé avec une casserole et tout ce qui m’est tombé sous la main. Ça a été mon point de rupture et il a tout changé. Après cela, l’homme m’a laissée tranquille et a quitté la maison, mais il n’a jamais dû rendre de compte.

Aujourd’hui, #MeToo et tous les mouvements qui lui sont associés dans le monde – #YoTambien en Espagne et en Amérique latine, #BalanceTonPorc en France, #quellavoltache en Italie ou #TotalShutDown en Afrique du Sud pour n’en citer que quelques-uns – ont non seulement exposé au grand jour l’omniprésence de la violence sexuelle, mais également donné aux survivantes les moyens de réclamer justice. Grâce à ces mouvements, les militantes et leurs alliés peuvent fourbir leurs armes pour préparer les véritables changements.

Alors que des milliers de personnes convergent vers Vancouver cette semaine pour la conférence Women Deliver, nous avons une nouvelle occasion de faire pression en faveur d’une levée des obstacles qui empêchent toute véritable égalité de genre. Or, cette occasion ne vient pas sans responsabilité. Les femmes et les hommes qui se rassembleront à Vancouver ne doivent pas oublier que les femmes les plus vulnérables dans le monde, dont beaucoup sont touchées par le VIH, n’assistent pas aux conférences internationales.

Avec Women Deliver, Vancouver débordera d’inspiration et de détermination à accélérer le changement. Comment peut-on dynamiser cet esprit et cet élan pour soutenir les femmes les plus vulnérables partout dans le monde afin de leur donner le pouvoir dont elles ont besoin pour rompre le silence qui va de pair avec l’oppression ?

Selon moi, le véritable critère de réussite de ces mouvements sera de voir dans quelle mesure ils parviennent à rassembler au-delà de l’appartenance ethnique, du milieu social et de l’identité de genre pour lutter en faveur des droits de toutes les personnes, en particulier celles qui sont le plus marginalisées. Il faut encore étendre aux filles et aux femmes les plus vulnérables de la planète le privilège d’assister à des conférences hors normes comme Women Deliver. Je parle ici, par exemple, des près de 1000 adolescentes et jeunes femmes qui, chaque jour, contractent le VIH dans le monde.

Nous n’en finirons avec le VIH que si nous parvenons à réduire drastiquement les taux d’infections parmi les adolescentes et les jeunes femmes. Toutefois, nous ne réduirons ces infections que si nous mettons fin à la violence sexuelle et aux autres formes d’inégalité de genre. Ces nouveaux mouvements pourraient-ils devenir la force qui canalisera l’indignation vers un changement durable ?

Cela fait des dizaines d’années que nous savons que la honte, les tabous ou la simple gêne entravent la lutte contre le VIH. La violence sexuelle fait figure de révélateur pour toutes ces réactions très humaines, ce qui aboutit au silence et à une épidémie qui a coûté la vie à des millions de personnes alors même qu’on pourrait la prévenir. Cependant, lorsque les femmes revendiquent leur histoire et leur opinion, elles revendiquent leur pouvoir. Dès lors qu’une société prône l’égalité et la dignité pour toutes et tous, elle jette les fondements de la santé et du bien-être. Pour être véritablement au service des femmes, nous devons toutes et tous devenir des briseuses et des briseurs de silence.

Linda Mafu dirige le département du plaidoyer politique et de la société civile au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cet article a été publié pour la première fois en anglais dans le Hill Times – Canada.