Alors que le G7 et le G20 tentent de coordonner la réponse mondiale face à la crise provoquée par la pandémie de COVID-19, les décideurs sont assaillis de propositions – nouveaux fonds, nouvelles institutions et nouvelles initiatives – pour lesquelles il faut engager des milliards de dollars.
Au cœur de cette stratégie internationale, il convient d’intensifier la lutte contre la COVID-19. Certes, les interventions massives et concertées des banques centrales et des ministères des Finances sont une composante essentielle de la réponse mondiale à apporter pour atténuer l’impact économique et social de la crise, mais il n’en demeure pas moins que nous sommes face à une crise sanitaire aux conséquences économiques titanesques. Si nous ne parvenons pas à enrayer la crise, l’impact économique ne pourra que s’aggraver.
La riposte à la COVID-19 doit s’articuler autour de deux objectifs : endiguer les pertes de vies humaines et faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais. Nous devons saisir cette occasion pour rompre le cycle de la panique et de la négligence qui caractérise à ce jour notre approche face aux flambées de maladies infectieuses.
Toutefois, qui dit nouvelle approche de la sécurité sanitaire mondiale dit adoption d’une vision beaucoup plus large que celle qui prévalait jusqu’ici. Tout d’abord, cette nouvelle approche ne pourra aboutir si elle se centre exclusivement sur les pandémies, puisque toute pandémie commence nécessairement par une épidémie localisée. Ce sont les étincelles ignorées qui enflamment les brasiers.
Plus important encore, cette approche ne peut être efficace si la définition de la sécurité sanitaire se limite aux maladies infectieuses qui mettent en péril ceux qui vivent dans les pays riches. Bien au-delà de l’aspect moral discutable de ce clivage, il est impossible de convaincre pays et communautés de s’intéresser plus à des maladies qui risquent de les tuer qu’à celles qui les tuent déjà. M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS, avait déjà porté avec éloquence cet argument à l’occasion d’une réunion en septembre dernier, racontant la visite d’un village en République démocratique du Congo au cœur de l’épidémie de maladie à virus Ebola. Les responsables locaux avaient demandé fort à propos pourquoi un seul cas mortel de maladie à virus Ebola leur avait valu la visite d’une délégation armée de vêtements de protection, alors que le village n’avait vu arriver personne les semaines précédentes après la mort de plusieurs enfants atteints de paludisme.
En réalité, les maladies infectieuses qui sont aujourd’hui les plus meurtrières – sida, tuberculose et paludisme – ont toutes un jour atteint des dimensions pandémiques et semé la mort partout dans le monde. Maintenant qu’elles menacent moins les économies avancées, elles sont abordées davantage sous l’angle humanitaire que comme des enjeux de sécurité sanitaire.
C’est, à bien des titres, une erreur. Des maladies comme la tuberculose demeurent une grave menace pour chacun d’entre nous, où que nous vivions. La tuberculose multirésistante, surnommée l’« Ebola ailé », est aussi mortelle et bien plus contagieuse que le virus Ebola. Elle tue environ 250 000 personnes chaque année.
En outre, l’infrastructure et les capacités mises en place pour venir à bout de maladies telles que le sida, la tuberculose, le paludisme ou la polio – chaînes d’approvisionnement des produits de santé, laboratoires, réseau d’agents de santé communautaires et surveillance des maladies – sont précisément celles dont les pays ont besoin pour détecter et combattre les nouveaux foyers épidémiques. Par exemple, si la riposte à l’épidémie de maladie à virus Ebola a été efficace au Nigeria, c’est parce qu’elle a mis à profit les capacités de recherche de contacts créées pour combattre la polio. À Kivu, la réponse s’est appuyée sur les instruments de diagnostic déployés par le Fonds mondial pour lutter contre la tuberculose.
Surtout, cette nouvelle approche de la sécurité sanitaire mondiale ne pourra aboutir que si l’on s’assure la participation et l’adhésion des communautés et des pays les plus vulnérables. Notre sécurité se mesure au maillon le plus faible de la chaîne. Les personnes vivant dans les pays dotés des systèmes de santé les plus faibles et affichant la plus grande vulnérabilité face aux maladies nouvelles ne souscriront à une nouvelle approche de la sécurité sanitaire mondiale que si elle combat les menaces qui les touchent le plus.
Alors que nous intensifions notre riposte face à la COVID-19, nous devrions nous garder de créer de nouvelles institutions ou de nouveaux fonds internationaux. Sous tension, les ministres de la Santé des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire n’ont déjà pas le temps de se coordonner avec les partenaires de développement existants, sans même parler d’en créer de nouveaux. OMS, ONUSIDA, UNITAID, GAVI, Fonds mondial, GFF, Groupe de la Banque mondiale, FIND, RBM, Halte à la tuberculose, UCNTD, UNICEF, PNUD – une tempête d’acronymes et de dénominations souffle déjà sur la lutte contre les maladies infectieuses, sans compter que ces acteurs ne sont que quelques-uns des partenaires multilatéraux en présence.
Nous devrions adapter et réorienter les institutions déjà en place, en tirant parti de leurs atouts relatifs. Nous devrions renforcer le rôle de chef de file de l’OMS concernant la définition de la stratégie à employer, la collecte des données, l’établissement de normes et la conduite des actions de communication. Nous devrions acheminer nos ressources dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables, par le biais d’institutions existantes, telles que le Fonds mondial, Gavi et la Banque mondiale, déjà engagées dans la riposte contre la COVID-19. Nous devrions renforcer notre soutien aux instances de collaboration, telles que la coalition internationale CEPI et UNITAID, afin de donner un coup d’accélérateur au développement de nouveaux médicaments et vaccins.
Enfin, nous devrions fonder notre approche de la sécurité sanitaire mondiale sur notre engagement solidaire et notre humanité partagée. Gardons-nous de considérer ceux qui viennent d’autres pays comme des vecteurs de maladie et considérons-les comme des personnes. Nous devrions ouvrir l’accès aux nouveaux outils diagnostiques et thérapeutiques et aux vaccins sur la base du principe de nécessité, et non du pouvoir d’achat. Il est fondamental d’associer les populations et de protéger les droits humains pour combattre les menaces posées par les maladies.
Pour concevoir une stratégie concertée de lutte contre la COVID-19 à l’échelle mondiale et créer une approche radicalement nouvelle de la sécurité sanitaire mondiale, il nous faudra une impulsion durable et résolue des dirigeants du G7 et du G20. C’est maintenant qu’il faut agir.