Le prochain chapitre de notre lutte contre le VIH

01 décembre 2021 par Peter Sands, directeur exécutif

Les pandémies aggravent les inégalités et s’en nourrissent. Elles dénichent les brèches dans nos sociétés et les agrandissent. Les personnes les plus pauvres et les plus marginalisées sont toujours celles qui souffrent le plus.

Nous l’avons vu avec le VIH, et nous le voyons de nouveau avec le COVID-19. Les pays riches lancent déjà des campagnes de vaccination de rappel, tandis que la plupart des personnes vivant dans les pays pauvres n’ont pas encore reçu la première dose.

Toutefois, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, force est de constater que les inégalités existent autant au sein des pays qu’entre les pays.

Depuis que les premiers cas de sida ont été signalés, il y a 40 ans, le monde a fait un pas de géant dans la lutte contre le VIH. Les décès imputables au sida ont diminué de 65 % dans les pays où le Fonds mondial investit, depuis sa création il y a 20 ans. Désormais, plus de 27,5 millions de personnes séropositives dans le monde bénéficient d’un traitement antirétroviral vital.

Cependant, dans de nombreux pays, des inégalités tenaces demeurent, freinant notre progrès contre le virus. Dans ces pays, les nouvelles infections au VIH se concentrent chez les personnes rendues vulnérables par les inégalités en lien avec les droits humains ou le genre. Les personnes appartenant aux communautés stigmatisées ou criminalisées, et qui de fait n’ont pas accès aux services essentiels qui les protégeraient du VIH, courent jusqu’à 25 à 35 fois plus de risques d’être infectées par le VIH que la population générale. En Afrique subsaharienne, les adolescentes et les jeunes femmes sont confrontées à toute une série d’obstacles liés au genre qui les prédisposent à une infection au VIH : six nouvelles infections au VIH sur sept chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans dans cette région concernent des filles.

Le COVID-19 a exposé les communautés les plus vulnérables et les plus marginalisées à des risques encore plus grands, car les confinements et les restrictions visant à enrayer la nouvelle pandémie ont entravé l’accès aux traitements, aux tests, aux soins et aux services de prévention vitaux du VIH.

Dans la lutte contre le VIH, nous sommes aujourd’hui confrontés à une nouvelle réalité : nous n’étions déjà plus sur les rails avant la pandémie, et le COVID-19 nous a fait dévier encore davantage de notre trajectoire. Les stratégies qui nous ont permis de progresser jusqu’à présent ne suffisent plus aujourd’hui. 

Pour intensifier notre combat, nous devons investir davantage et plus intelligemment. Nous devons concevoir et mettre en œuvre des démarches de prévention et de traitement plus précises et différenciées pour les communautés les plus à risque. Pour y parvenir, nous devons donner aux communautés les moyens de jouer un rôle encore plus important dans la conception et la mise en œuvre des interventions.

En matière de prévention, nous préconisons le concept de « prévention de précision du VIH » afin d’obtenir un impact maximal avec les rares ressources disponibles. Cela signifie que nous aidons les pays à concentrer leurs efforts là où le VIH est le plus répandu et en faveur des personnes ayant les plus grands besoins en matière de prévention du VIH, afin que celles-ci disposent des outils, des connaissances et des capacités nécessaires pour se protéger. En matière de traitement, nous soutenons des modèles novateurs et rentables de fourniture de médicaments et de soins qui rendent les services plus accessibles, ce qui est essentiel pour placer rapidement les personnes sous traitement antirétroviral, et améliorer la rétention des patients et la suppression de la charge virale.

Ces pratiques comprennent la distribution d’antirétroviraux pour plusieurs mois, désormais reconnue comme une pratique efficace pour accroître l’observance du traitement.

Nous devons également être encore plus déterminés à lever les obstacles liés aux droits humains et au genre qui entravent l’accès aux services pour les personnes qui en ont le plus besoin. Les populations clés et vulnérables, y compris les adolescentes et les jeunes femmes, les hommes homosexuels, les personnes qui consomment des drogues et les personnes transgenres, sont confrontées à un ensemble d’obstacles liés au rejet social, à la discrimination et à la criminalisation. Si nous ne les abordons pas au moyen d’une démarche fondée sur les droits, nous ne vaincrons pas le VIH.

Ces impératifs sont au cœur de la nouvelle stratégie du Fonds mondial. En plaçant les personnes et les communautés au centre, cette stratégie met encore plus l’accent sur l’équité, les droits humains et l’égalité de genre, et sur le renforcement du rôle et de la voix des communautés affectées par le VIH.

La stratégie engage également le Fonds mondial à investir dans des systèmes pour la santé intégrés et centrés sur la personne, y compris des systèmes communautaires. Sans perdre de vue notre objectif de sauver des vies et de réduire les infections, nous nous efforcerons de tirer parti des synergies entre la lutte contre le VIH et les interventions visant à combattre d’autres agents pathogènes, afin de mieux servir les personnes et d’améliorer la résistance et la pérennité de nos interventions.

Par exemple, dans de nombreux pays, nous investissons déjà dans des programmes intégrés de lutte contre le VIH et la tuberculose, mais il est désormais nécessaire de tenir compte aussi de l’interaction avec le COVID-19. Les instruments de diagnostic moléculaire à haut débit installés pour le dépistage de la charge virale sont également utilisés pour le dépistage du COVID-19 : dépister simultanément les personnes pour le VIH et le COVID-19 permet de combattre les deux pandémies à la fois. Les personnes vivant avec le VIH qui ont encore une charge virale détectable sont plus susceptibles d’être gravement touchées par le COVID-19 ; il est donc d’autant plus important de leur fournir des traitements antirétroviraux et de les protéger contre le nouveau virus.

Encore et encore, nous avons vu les personnes les plus pauvres et les plus marginalisées souffrir le plus des maladies infectieuses les plus dangereuses. Nous devons adopter une démarche qui reconnaisse cette cruelle réalité. Le VIH a été la dernière grande pandémie à frapper l’humanité, et bien que nous ayons réalisé de grands progrès, nous ne l’avons pas encore vaincu. Le COVID-19 pose un nouveau défi de taille, en particulier pour les communautés les plus exposées au VIH. Pour vaincre les deux pandémies, nous devons nous attaquer aux inégalités qui les nourrissent et les aggravent.

Cette tribune est d'abord parue dans Jeune Afrique.