Le rôle essentiel du secteur privé dans la lutte contre la tuberculose

24 mars 2022 par Eliud Wandwalo, chef de l’équipe de lutte contre la tuberculose

La lutte contre la tuberculose est un parcours long et semé d’embûches. Depuis la création du Fonds mondial il y a 20 ans, le fardeau de la tuberculose n’a cessé de diminuer. Cependant, la tuberculose multirésistante représente toujours une lourde menace, et l’apparition du COVID-19 en 2020 a fait reculer des avancées obtenues après plusieurs décennies de lutte. Pour la première fois de notre histoire, les indicateurs clés de nos programmes ont enregistré des reculs et le nombre de victimes de la tuberculose a augmenté, en raison d’une forte augmentation des cas non diagnostiqués et non traités. La tuberculose fait plus 1,5 million de victimes chaque année, encore aujourd’hui. Rien qu’en Inde, cela représente environ 1 400 décès par jour.

Le COVID-19 nous a également appris qu’il était possible, voire essentiel, d’adapter les modèles de prestation de services, d’accroître la numérisation, d’adopter de nouveaux outils et d’investir davantage. Cet enseignement est non seulement porteur d’espoir, il est la preuve irréfutable que l’engagement du secteur privé, l’innovation et l’expertise technique sont les clés qui ouvriront la porte d’un monde libéré de la tuberculose.

Dans un grand nombre de pays lourdement touchés par la tuberculose, le secteur privé a toujours été le premier guichet d’accueil des personnes symptomatiques. Dans certains pays asiatiques, jusqu’à 70 % des patients consultent d’abord un fournisseur de soins de santé privé lorsqu’ils présentent des symptômes de la tuberculose. En plus des prestataires privés de soins de santé, les entreprises technologiques, avec leur capacité d’innovation, peuvent jouer un rôle fondamental dans l’évolution de la lutte contre la tuberculose.

Par exemple, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour les diagnostics assistés par ordinateur est l’une des avancées révolutionnaires ayant émergé de la collaboration avec le secteur privé. Le Fonds mondial collabore avec des sociétés comme Microsoft, Qure.ai et Google Cloud Platform en Inde pour déployer cette technologie. Par exemple, avec les applications Qure.ai, il n’est plus nécessaire qu’un radiologue examine les radiographies pour l’obtention d’un diagnostic de tuberculose. La machine suffit à l’analyse. La disponibilité des radiologues étant l’un des principaux goulets d’étranglement du dépistage de la tuberculose, cette innovation approuvée par l’OMS a transformé notre façon de travailler et mis en évidence le rôle crucial du secteur privé dans la lutte contre la maladie.

L’intelligence artificielle figure dans les plans d’avenir de la lutte contre la tuberculose, et nous attendons d’autres innovations dans ce domaine. Des entreprises sont en train de développer des algorithmes capables de distinguer une toux normale d’une toux tuberculeuse, et cela révolutionnera notre mode de fonctionnement. Le manque de sensibilité des outils actuels de dépistage de la tuberculose est l’une des difficultés auxquelles nous nous butons quotidiennement. À l’heure actuelle, le diagnostic repose principalement sur l’observation des symptômes. Lorsque nous commencerons à y adjoindre les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, le diagnostic passera à un niveau supérieur.

En matière de traitement, le secteur privé a joué un rôle clé dans le développement des outils numériques d’observance du traitement, qui servent à vérifier si les patients suivent bien leur traitement. En Inde, les technologies basées sur téléphone portable permettent de vérifier à distance si les patients observent leur schéma thérapeutique. Le Fonds mondial travaille avec les gouvernements et d’autres partenaires pour améliorer le traitement des patients en décentralisant le traitement de la tuberculose pharmacorésistante, traditionnellement assuré par les grands établissements de santé, vers les communautés et les foyers. En Géorgie, cette décentralisation passe notamment par le déploiement de l’application de suivi thérapeutique par vidéo AdhereTB, développée par le Centre national de lutte contre les maladies et de santé publique de Géorgie avec le soutien du Fonds mondial. L’application permet aux patients de gagner un temps précieux et d’économiser des coûts de transport. Les patients qui utilisent AdhereTB peuvent enregistrer et télécharger leurs vidéos au moment qui leur convient. Ils peuvent aussi voir la liste des médicaments qui leur ont été prescrits, ainsi qu’une description de chaque médicament et de ses éventuels effets secondaires.

Avant l’apparition du COVID-19, les patients atteints de tuberculose devaient, dans bien des pays, se rendre quotidiennement à leur établissement de santé local pour recevoir leurs médicaments. La pandémie a amené de nombreux pays à adopter un modèle de distribution de médicaments pour plusieurs mois. La technologie d’observance numérique, qui facilite le suivi du traitement, a rendu la chose possible. En fait, nous avons constaté que les communautés où cette technologie avait déjà été déployée étaient beaucoup mieux préparées à affronter les énormes difficultés qu’a posées le COVID-19 et y ont opposé une riposte plus rapide.

Avant le COVID-19, la numérisation du dépistage et du traitement de la tuberculose commençait à prendre de l’ampleur, mais très lentement. Le mouvement s’est accéléré à compter de 2020, et les investissements antérieurs dans la technologie numérique ont porté leurs fruits. Les pays ont été contraints d’agir promptement. En Inde, par exemple, les systèmes de santé se sont mis à recueillir et à mettre en ligne des données numériques en temps réel, alors qu’avant ils s’en remettaient principalement à une collecte annuelle de données sur la tuberculose. Tout d’un coup, il était possible d’avoir des informations sur les cas de la veille, alors qu’auparavant il fallait attendre les données pendant des mois.

Une patiente utilise une application de suivi thérapeutique par vidéo pendant la prise quotidienne de ses médicaments antituberculeux à la maison, dans le village de Bashi, en Géorgie.
The Global Fund/Anush Babajanyan

Avec le recul, on constate que la pandémie de COVID-19 a constitué un point tournant dans la numérisation du dépistage et du traitement de la tuberculose. Elle a catalysé le développement de plateformes conçues pour la lutte contre la tuberculose, comme les activités de recherche des contacts, ainsi que l’utilisation des technologies d’observance numériques et le renforcement de la surveillance de la tuberculose en temps réel et cas par cas.

L’établissement de meilleurs systèmes d’information, plus intégrés, est primordial. Dernièrement, le Fonds mondial a formé un partenariat avec Microsoft Research et le Partenariat Halte à la tuberculose dans le but d’analyser le paysage des technologies numériques dans 20 pays à forte prévalence et d’y relever les lacunes. Nous travaillons avec ces pays et ces parties prenantes pour renforcer les systèmes basés sur ces technologies, intégrer les données parmi les plateformes et conduire à une prestation de soins centrés sur le patient plus rapide et complète. Voilà un excellent exemple de la contribution que le secteur privé peut apporter dans des domaines où il dispose d’un avantage comparatif : les solutions numériques. Notre aide financière, nos partenaires techniques et les capacités techniques du secteur privé, une fois combinés, constituent un puissant accélérateur du progrès pour les pays.

La tuberculose affecte principalement la population en âge de travailler. Ses conséquences sont souvent dévastatrices, car les personnes touchées se retrouvent dans l’incapacité de travailler. Le secteur privé peut donc jouer un rôle crucial en élaborant une approche responsable tout au long des chaînes de valeur et en élaborant des politiques et une structure de soutien adéquates en cas de pandémie. Ending Workplace TB est une coalition de multinationales soucieuses de la santé de leur personnel qui incite les directions d’entreprise à adapter leurs méthodes pour soutenir leurs employés et leurs fournisseurs atteints d’une maladie comme la tuberculose et s’assurer qu’ils ne subiront pas les conséquences catastrophiques d’une perte de revenu.

Nous avons collaboré avec Johnson & Johnson dans un projet de recherche de personnes atteintes de tuberculose manquant à l’appel. Son initiative de collecte de renseignements sur les habitudes de consommation a permis de cerner, à un niveau extrêmement détaillé, les motivations comportementales et culturelles derrière les cas de tuberculose qui manquent à l’appel en Indonésie. Historiquement, notre approche était résolument biomédicale. En utilisant les sondages auprès des consommateurs de nos partenaires du secteur privé, nous avons pu aborder la maladie sous un tout autre angle. 

Dans sa riposte au COVID-19, le monde a démontré qu’il pouvait rapidement mettre au point des outils pharmaceutiques, des diagnostics, des thérapies et des vaccins novateurs. Nous luttons contre la tuberculose avec des moyens vétustes, notamment un vaccin et des méthodes diagnostiques plus que centenaires. Les médicaments utilisés pour traiter la tuberculose pharmacorésistante sont encore très toxiques et partiellement efficaces. Il faut intensifier la recherche et le développement, car nous avons besoin d’un vaccin qui fonctionne pour tous les groupes d’âge, de meilleurs diagnostics au point de service et de schémas thérapeutiques plus courts et moins néfastes.

Voici mon appel au secteur privé : nous avons besoin plus que jamais de votre collaboration, de votre capacité d’innovation, de votre expertise et de vos investissements. Nous avons observé, avec le COVID-19, les conséquences économiques des maladies. Nous avons toujours su que le rendement des investissements dans la lutte contre la tuberculose serait énorme. Nous devons moderniser et révolutionner la lutte contre la tuberculose et atteindre nos objectifs à l’horizon 2030. Je suis convaincu que c’est en solide partenariat avec le secteur privé que nous y arriverons.