En février 2020, juste avant que le COVID-19 ne rende de tels voyages impossibles, je me suis rendu dans un village de la province du Kongo Central, en République démocratique du Congo. J’y ai rencontré François Mvueki, un agent de santé communautaire avec qui j’ai échangé. En regardant son journal de bord quotidien, j’ai été frappé de lire « paludisme » pour plus de 95 % des entrées. Il m’a expliqué que même si bien moins d’enfants mouraient du paludisme, le nombre de cas restait le même et il n’avait que très peu de temps pour s’occuper de quoi que ce soit d’autre.
En revanche, lors d’un précédent voyage en Éthiopie, en 2019, je me suis rendu dans un village où le paludisme avait été en grande partie éradiqué. Alem Abebe, une agente de santé communautaire, m’a dit qu’elle n’avait examiné que quelques cas au cours du mois dernier. À la place, sa journée était donc remplie par des contrôles prénatals et postnatals auprès de jeunes mamans, des vaccinations de nourrissons et une aide aux personnes atteintes d’un large éventail d’autres maladies, dont le diabète.
Cette comparaison illustre un phénomène souvent oublié, à savoir le lien entre les interventions visant à lutter contre des maladies infectieuses spécifiques et les investissements destinés à renforcer les capacités des systèmes de santé. Comme ces exemples l’illustrent, le lien entre les interventions spécifiques à une maladie et la performance des systèmes de santé est complexe et va dans les deux sens. Le renforcement de l’infrastructure et des capacités des systèmes de santé améliore sans aucun doute l’efficacité des interventions spécifiques aux maladies. C’est pourquoi le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est le plus grand organisme prestataire de subventions pour le renforcement des systèmes de santé. Néanmoins, réduire le fardeau d’une maladie comme le paludisme est également un puissant moyen de libérer la capacité des systèmes de santé.
C’est particulièrement vrai dans les régions d’Afrique les plus durement touchées par le paludisme. Dans de nombreuses structures de santé rurales, le nombre de cas de paludisme écrase presque tout le reste. Nous pouvons et nous devons augmenter le personnel et les autres ressources dans ces structures de soins primaires, mais si nous ne parvenons pas à réduire la charge de morbidité du paludisme, ce sera en vain.
Au cours des vingt dernières années, nous avons fait des progrès considérables, avec une réduction des décès imputables au paludisme de 31 % entre 2000 et 2021. Cependant, quelque 600 000 personnes meurent encore de la maladie chaque année, pour la plupart des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes. En outre, nous n’avons pas réalisé de progrès équivalents dans la réduction du nombre de personnes qui contractent le paludisme. En 2021, il y a eu 247 millions de cas de paludisme, contre 245 millions en 2020 et 232 millions en 2019. Cela signifie que nous n’avons pas allégé la charge pesant sur les systèmes de santé. Nous n’avons pas non plus réussi à réduire de manière significative l’impact sur la productivité économique ou le niveau d’éducation, puisque les employés malades perdent des jours de travail et que les enfants malades manquent des cours à l’école.
Par ailleurs, le défi posé par le paludisme est susceptible de prendre de l’ampleur, alimenté par le changement climatique et la plus grande résistance des moustiques aux insecticides et du parasite du paludisme aux traitements. Sans mesures concrètes, nous sommes confrontés à la perspective d’un plus grand nombre de cas de paludisme et de décès, ainsi qu’à l’impact dévastateur en découlant sur la capacité des systèmes de santé à résoudre d’autres problèmes. Pour les communautés les plus pauvres du monde, il s’agirait d’une catastrophe.
Nous pouvons éviter ces conséquences désastreuses, mais seulement si nous agissons rapidement pour augmenter les investissements visant à accélérer le déploiement d’outils innovants, à intensifier les interventions et à renforcer les composants essentiels des systèmes de santé, comme la surveillance des maladies, les agentes et agents de santé communautaires et la logistique jusqu’au dernier kilomètre. Le compromis entre investir dans de nouveaux outils et renforcer les capacités des systèmes de santé n’est pas un choix que l’on devrait faire. Les agentes et agents de santé communautaires ont besoin des derniers tests et traitements pour sauver la vie des enfants infectés par le paludisme. Mais même les meilleurs tests et traitements sont inutiles si les agentes et agents de santé ne sont pas correctement formés et soutenus pour les administrer.
Vaincre le paludisme est l’un des moyens les plus puissants auquel la communauté internationale peut avoir recours pour améliorer la vie des communautés les plus pauvres du monde. Nous disposons d’outils efficaces, et de meilleurs outils sont en cours de développement. Ce qui manque, c’est la volonté politique, et donc l’argent. Le total des dépenses dans la lutte contre le paludisme à l’échelle mondiale s’élève à près de 3,1 milliards de dollars US par an, le Fonds mondial étant de loin la principale source de financement, assurant 63 % du financement international des programmes de lutte contre le paludisme.
À ce niveau d’investissement, nous aurons énormément de difficulté à maintenir – et encore plus à accélérer – les progrès de la lutte contre le paludisme, compte tenu de l’impact du changement climatique et de la résistance. Un milliard de dollars US supplémentaires par année seraient transformationnels : nous pourrions sauver immédiatement des dizaines de milliers de vies d’enfants, nous pourrions nous remettre sur la voie de la réduction des infections et, dans le même temps, renforcer et libérer la capacité des systèmes de santé, en répondant mieux aux autres besoins de santé et en renforçant la préparation aux pandémies.
Si sauver la vie de dizaines ou de centaines de milliers d’enfants n’est pas un argument suffisamment convaincant, il y a également un puissant argument économique en faveur d’une augmentation des investissements, et ce dès maintenant. Le changement climatique attise le paludisme comme de l’essence un brasier. Oui, nous devons réduire le débit de ce combustible inflammable, mais compte tenu de la hausse des températures à l’échelle mondiale, nous ne serons pas en mesure de fermer les vannes de sitôt. Nous devons donc éteindre le feu autant que nous le pouvons, tant que nous le pouvons encore. Sinon, les coûts vont augmenter rapidement.
La cruelle réalité est que ceux qui sont le moins responsables du changement climatique – les jeunes enfants des pays les plus pauvres du monde – comptent parmi ceux qui risquent le plus d’en être les premières victimes.
Cet article d’opinion a été publié pour la première fois dans Forbes.