Il est grand temps de nous défaire des inégalités entre les genres dans la lutte contre le VIH

16 juin 2023 par Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial

L’année dernière, à Dar es-Salaam, en Tanzanie, j’ai rencontré une femme qui s’appelle Shani Ally. Shani mène une vie remplie en étant à la fois mère, épouse et entrepreneuse. Elle est également sous traitement antirétroviral contre le VIH depuis plus de 20 ans. Ce traitement l’a maintenue en vie et a prévenu la transmission du VIH à ses trois enfants, ainsi qu’à son mari. Aujourd’hui, Shani et sa famille vivent sans peur de contracter le sida.

Shani a vaincu le VIH, mais beaucoup d’autres femmes n’ont pas eu cette chance. Le sida est la première cause de décès chez les femmes et les filles en Afrique, et la troisième chez les femmes au niveau mondial. (Les maladies liées au sida ont chuté au huitième rang des causes de décès chez les hommes.) Dans les pays d’Afrique subsaharienne, le risque de contracter le VIH est trois fois supérieur pour les adolescentes et les jeunes femmes que pour les adolescents et les jeunes hommes du même âge. Ces disparités sont dues à des inégalités de genre profondément ancrées, et leur complexité ainsi que leur nature structurelle les rendent difficiles à combattre.

Pourtant, nous devons les combattre. Le monde s’est donné l’objectif d’en finir avec le sida en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif, il faudra mettre en place davantage de mesures pour s’attaquer aux iniquités de genre qui rendent les femmes et les filles si vulnérables. Les inégalités sociales, économiques et de genre si tenacement établies empêchent les filles d’avoir accès à l’éducation, limitent leur pouvoir de prise de décision et les exposent à des violences fondées sur le genre.

L’histoire de Shani illustre bien à quel point les obstacles à l’éducation et les normes sociales néfastes augmentent la vulnérabilité des femmes et des filles face au VIH. Shani et son frère jumeau ont toujours été parmi les premiers de leur classe, à l’école primaire. À 14 ans, ils étaient tous deux sur le point de poursuivre leur scolarité au lycée. Pourtant, leur famille a choisi qu’un seul d’entre eux irait au lycée, le garçon. Parce que c’était une fille, Shani a été privée de son éducation.

Shani Ally, mère de trois enfants, défenseuse de la lutte contre le VIH. Photo: Le Fonds mondial/David O’Dwyer

Pour devenir aptes à façonner leur propre vie et à se protéger, les filles doivent pouvoir rester à l’école et apprendre. Cela n’est pas encore le cas dans bien trop de pays à travers le monde. Les bonnes raisons d’investir dans l’éducation des filles sont nombreuses, mais cela est vital du point de vue de la santé. De nombreuses études montrent que le fait de garder les filles à l’école peut réduire le risque de grossesses précoces et d’infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH.

En plus de subir des disparités en matière d’éducation, les femmes et les filles n’ont bien trop souvent que peu leur mot à dire dans les décisions qui façonnent leur vie. En ce qui concerne Shani, ses parents ont choisi l’homme qu’elle épouserait. Shani m’a dit, cet après-midi-là, qu’un groupe d’hommes est arrivé chez elle et l’a emmenée. L’un d’entre eux était son futur mari. Il avait 35 ans, elle en avait 14.

Shani a fait ce qu’elle a pu pour s’adapter à sa nouvelle vie d’épouse, avec un homme qu’elle venait tout juste de rencontrer. Après trois mois de mariage, Shani a découvert qu’elle était enceinte. Si elle a été surprise par sa grossesse, elle a été encore plus choquée d’apprendre, lors de sa première consultation prénatale, qu’elle était positive au VIH. Lorsqu’elle a confié la nouvelle à son mari, il a réagi violemment, l’accusant d’infidélité et affirmant qu’elle était celle qui avait apporté le VIH dans la famille.

Rejetée par son mari, Shani a essayé de retourner chez ses parents. Mais eux aussi ont choisi de s’en écarter, croyant aux fausses accusations de son mari. Sous le choc d’avoir été abandonnée, Shani a fait une grave dépression et est tombée si malade qu’elle a fait une fausse couche et a failli y rester.

De telles réactions après un diagnostic positif au VIH sont bien trop fréquentes. Les femmes vivant avec le VIH déclarent souvent être victimes de violence, de rejet et de stigmatisation, y compris de la part de leurs partenaires intimes et des membres de leur famille. La violence fondée sur le genre est non seulement un moteur de l’infection à VIH, mais elle en est aussi une répercussion.

Pour réaliser des progrès durables dans la lutte contre le VIH, il faut déployer des efforts soutenus et sur plusieurs fronts afin de s’attaquer aux causes profondes des iniquités de genre, y compris la violence fondée sur le genre. Dans les pays où l’incidence du VIH est élevée, nous ne réussirons que si nous nous attaquons aux normes et aux comportements néfastes en matière de genre. Au-delà d’encourager l’autonomisation des femmes et des filles, nous devons engager le dialogue avec les hommes et les garçons, les dirigeants communautaires et religieux, les législateurs et les agents des forces de l’ordre.

Fort heureusement, Shani a survécu à sa maladie. Peu de temps après, elle a elle-même sollicité et reçu un traitement vital contre le VIH, et elle est devenue déterminée à changer le cours de sa vie. Elle a rencontré l’homme qui allait devenir son nouveau mari et le père de ses enfants. Au début, elle hésitait à commencer une nouvelle relation et à avoir des enfants, car elle avait peur de leur transmettre le VIH. Mais elle a appris que tant qu’elle suivrait son traitement sans interruption, sa famille ne risquerait pas d’être infectée.

Shani a survécu à son combat contre le VIH, et a désormais sa propre entreprise, un mari aimant et trois jeunes enfants. Mais elle a dû se battre. Et beaucoup d’autres ne parviennent pas à gagner ce combat.

Dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, personne ne devrait mourir d’une maladie liée au sida. Lorsque nous nous sommes rencontrés, Shani était avec sa fille Sanifa, âgée de neuf ans. Elle m’a raconté que Sanifa marchait dans ses pas – une autre fille première de sa classe. Pour mettre un terme au sida pour de bon, nous devons nous assurer que Shani et toutes les personnes vivant avec le VIH ont accès aux médicaments dont elles ont besoin. Il est tout aussi important d’investir pour que Sanifa et toutes les filles à travers le monde terminent leur scolarité, restent séronégatives au VIH et prennent le contrôle de leur propre vie. Selon leurs propres termes.

Cet article d’opinion a été publié pour la première fois dans Forbes.