La vie de Shakira Ndagire est tout sauf banale. À 24 ans, elle est la plus jeune travailleuse du sexe que nous ayons rencontrée dans le bidonville de Kawempe, à Kampala, en Ouganda, une activité qu’elle a exercée la moitié de sa vie. Elle dit avoir commencé à vendre des services sexuels « sous une forme ou sous une autre » quand elle avait 13 ans.
Pendant ces onze années, elle a réussi beaucoup de choses, notamment à donner naissance à deux enfants. Une autre de ses victoires est d’être restée séronégative au VIH dans un pays où un travailleur du sexe sur trois est séropositif. Pour réaliser cet exploit, elle a fait de la prévention du VIH une constante dans sa vie.
« J’utilise systématiquement des préservatifs et la formation que j’ai reçue sur leur utilisation a été très importante pour moi », explique Shakira avec force gestes de la main. « Peu importe combien d’argent un homme me donne, je n’accepte aucun rapport sexuel sans préservatif. Et pour être plus sûre, je ne vais jamais chez un homme. J’amène mes clients sur mon lieu de travail. »
Après nous être engagés dans une ruelle étroite de Kawempe, nous arrivons à la porte de la minuscule maison close où travaille Shakira. À l’intérieur, un récipient débordant de préservatifs trône fièrement dans la pièce principale, sans qu’il y ait la moindre trace d’embarras, de secret ou de honte. On trouve aussi des préservatifs dans tous les coins et recoins des pièces exigües – tables de nuit, tiroirs, appuis de fenêtres.
Armées de préservatifs et d’autres outils de prévention du VIH, Shakira et les autres travailleuses du sexe présentes vaquent à leurs activités en ayant l’esprit moins accaparé par le VIH qu’il y a quelques années, quand cette partie de l’Ouganda était le foyer de départ de l’épidémie. Les collègues de Shakira, Doreen Mutoni et Charity Tumwebaze, sont peut-être séropositives au VIH et pourtant, ce n’est pas par le prisme de la peur, mais bien par celui de la confiance acquise après des années passées à côtoyer la maladie qu’elles font face au virus.
En plus des préservatifs, l’une des méthodes de prévention du VIH que Shakira utilise est la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Elle compte parmi les premières femmes en Ouganda à s’être vu proposer le dernier en date des outils de prévention du VIH. L’Ouganda met en œuvre ce programme en partenariat avec le Plan d’urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le sida.
La PrEP se présente sous la forme d’un cocktail de médicaments de prévention du VIH pris par les personnes séronégatives pour réduire le risque qu’elles courent d’être infectées. Selon le Dr Peter Kyambadde, qui s’occupe des populations-clés touchées par le VIH au Ministère ougandais de la Santé, un millier de femmes exposées à un risque élevé d’infection à VIH ont été placées sous PrEP dans le pays.
Jour et nuit, alors que les bruits de la vie emplissent les ruelles des quartiers défavorisés, la protection des travailleuses du sexe et de leurs clients contre le VIH devient particulièrement prioritaire. Ces enseignements, l’Ouganda les a tirés de son passé. La prévalence du VIH a considérablement reculé dans le pays, jusqu’aux 6,5 pour cent actuels. Elle reste néanmoins très élevée chez les travailleuses du sexe, à plus de 35 pour cent.
La trentaine bien entamée, Doreen et Charity sont des travailleuses du sexe depuis plus de 20 ans. Elles ont commencé à une époque où il était plus difficile de se protéger. Désormais sous traitement anti-VIH, elles continuent d’employer des préservatifs non seulement pour protéger leurs clients du virus, mais également pour se mettre à l’abri d’une éventuelle réinfection (lorsqu’une personne séropositive est infectée par une deuxième souche du virus).
Doreen, Charity and Shakira obtiennent leurs préservatifs et les autres outils de prévention du VIH, y compris les lubrifiants, auprès de l’Initiative pour les populations les plus à risque (MARPI), à l’hôpital Mulago de Kampala – où les personnes qui souhaitent des services de prévention et de traitement du VIH les trouvent sous un même toit. Ce centre reçoit l’appui du Fonds mondial et d’autres partenaires.
Lors d’une visite matinale classique à la MARPI, Shakira subira un examen médical avant de prendre son traitement de PrEP. Pour elle et les autres personnes touchées par le VIH, la MARPI est un refuge, un espace communautaire. Toutes ces personnes y sont accueillies avec une tasse de café chaud, des médicaments et un fort sentiment de camaraderie.
Pour vaincre le VIH, la prévention est essentielle. C’est pour cette raison que le leadership politique de l’Ouganda constitue le fer de lance des campagnes de prévention du VIH. Pour la Secrétaire permanente du Ministère ougandais de la Santé, le Dr Diana Atwine, la réussite de son pays dans la lutte contre le VIH tient, en grande partie, à l’engagement et à l’appui du Président Yoweri Museveni.
« À ses débuts, l’épidémie représentait un fardeau considérable, explique le Dr Atwine. Ce qui nous a donné l’impulsion qu’il fallait, c’est la volonté politique. Le Président en a fait une campagne personnelle et a commencé à parler de la prévention et des modes de transmission du VIH partout où il se rendait. »
« L’autre domaine dans lequel nous avons réussi, c’est celui de la prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant. La Première dame s’en est faite le porte-drapeau et a sillonné le pays en militant pour l’élimination de la transmission du VIH de la mère à l’enfant », poursuit le Dr Atwine.
Dans d’autres régions du monde, la PrEP est allée de pair avec un rapide recul des nouvelles infections à VIH. Selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis, il est avéré que la PrEP, prise systématiquement, peut entraîner une réduction de 92 pour cent au maximum du risque d’infection à VIH chez les personnes fortement exposées.
À la maison close de Kawempe et ailleurs où des femmes et des filles sont exposées au VIH, la PrEP vient ajouter un élément majeur à l’arsenal des outils disponibles pour prévenir le virus.