« Mais je ne peux tout simplement pas abandonner. » En Ukraine, dans l’ombre de la guerre, Yulia continue d’apporter son soutien aux personnes atteintes de la tuberculose

23 mars 2023 par Yulia Malyk

Yulia est travailleuse de proximité dans la lutte contre la tuberculose à Kharkiv, aux côtés de 100% Life, plus grande organisation de la société civile pour les patients dans le pays et partenaire du Fonds mondial. Elle a pour rôle de fournir des services de santé communautaires afin de prévenir et diagnostiquer la tuberculose, et de traiter les personnes qui en sont atteintes. Yulia est également la mère de la petite Yaroslava, âgée de six ans.

Chaque jour apporte son lot de nouveaux défis à Kharkiv.

Il y a quelques semaines, notre ville a été touchée par dix missiles en une seule nuit. Nous n’avions plus d’électricité, de réseau téléphonique, d’Internet, d’eau courante, ni de chauffage.

Le lendemain matin, j’ai marché une heure jusqu’à mon bureau pour récupérer les documents dont j’avais besoin pour travailler chez moi. J’ai ensuite parcouru le centre-ville pour trouver du réseau sur mon téléphone. Je voulais appeler les patients dont je m’occupe pour savoir s’ils étaient en sécurité et s’ils avaient suffisamment de médicaments pour ne pas interrompre leur traitement contre la tuberculose.

Ce fut une journée longue et épuisante, comme tant d’autres depuis le début de la guerre, il y a plus d’un an. Cette fois-là, l’alimentation électrique a été rétablie en 48 heures environ.

L’absence d’électricité, de chauffage et d’eau a été difficile l’hiver dernier.

Les habitants de Kharkiv sont émotionnellement épuisés et fatigués de vivre en permanence dans le stress et la peur. Mais les générateurs, les bougies, les lampes torches et la météo relativement clémente nous ont aidés à survivre.

Les gens ici sont résilients et s’adaptent rapidement à leur nouvelle réalité. Nous avons appris à avoir de l’eau et des conserves en réserve, à garder tous nos appareils chargés et à avoir une carte de ce que nous appelons les « points d’invincibilité », à savoir des abris chauffés et alimentés. Parce qu’une nouvelle attaque peut survenir à tout moment.

Chacun ici est plus préoccupé par sa survie que par sa santé. Il est de plus en plus difficile de persuader une personne de consulter un médecin, même si elle est manifestement malade.

Il y a aussi un manque de personnel médical. Des médecins sont partis au début de la guerre, certains sont revenus, mais naturellement beaucoup ne sont pas rentrés. Le personnel médical qui reste ici travaille jusqu’à l’épuisement.

Nous savons que la tuberculose se propage à Kharkiv. Les bombardements constants génèrent beaucoup de stress. Certaines personnes vivent encore dans des sous-sols mal ventilés et beaucoup souffrent de malnutrition ; tout cela augmente le risque de contracter la tuberculose.

Mais je ne peux tout simplement pas abandonner. Je sais que mes patients ont besoin de moi.

Je passe la moitié de mon temps à l’hôpital, où j’accompagne les personnes qui viennent pour un test de dépistage de la tuberculose ou un rendez-vous, et le reste du temps, je vais dans la rue à la rencontre de personnes qui pourraient être à risque de tuberculose.

Je les aborde généralement dans la queue pour des colis alimentaires ou des repas et leur demande si elles ont des symptômes. Si c’est le cas, je leur propose de se faire dépister. Mon organisation, 100% Life, s’efforce de veiller à ce que toutes les personnes porteuses de la tuberculose en Ukraine soient diagnostiquées au plus tôt et bénéficient d’un accès continu au traitement.

Parmi mes patients, je vois régulièrement un jeune homme de 29 ans atteint de la tuberculose. Il a vécu dans le métro pendant les premiers mois de la guerre pour se protéger des attaques et c’est très probablement là qu’il a contracté la maladie. Il souffre aussi d’épilepsie et a des crises presque tous les jours. Il vit avec sa mère, ils sont tous les deux très gentils.

J’ai rencontré ce jeune homme et sa mère l’été dernier, alors qu’ils faisaient la queue pour obtenir une aide alimentaire. Il n’avait pas de symptômes à l’époque, mais sa mère m’a dit qu’ils avaient passé beaucoup de temps dans le métro, alors je leur ai laissé mon numéro et leur ai demandé de m’appeler si des symptômes apparaissaient.

En janvier, sa mère m’a appelée pour me dire que son fils toussait, qu’il avait de la fièvre et qu’il transpirait. J’ai donc pris rendez-vous et je les ai accompagnés à l’hôpital, où son test de dépistage de la tuberculose est revenu positif. Je reste en contact avec eux maintenant, pour vérifier s’il prend ses médicaments et s’ils ont besoin d’une aide quelconque. Nous leur avons aussi fourni des provisions et j’ai également organisé la réparation de leur réfrigérateur.

Quand je rencontre des personnes dans cette situation, je suis reconnaissante de pouvoir les aider. C’est l’une des choses qui me motivent. Mais ma plus grande motivation, c’est ma fille. Je veux un avenir radieux et un monde meilleur pour elle.

Photo: Yulia Malyk

Les jours où je travaille, je l’emmène chez une nounou le matin et je la récupère le soir. Actuellement, ma fille n’a presque pas d’amis et ne va pas à l’école. Tellement d’enfants ont quitté Kharkiv que les écoles maternelles ont fermé.

En tant que mère, je dois continuer à travailler pour nous soutenir financièrement, mais je dois aussi prendre soin de ma fille et assurer sa sécurité. Je réfléchis constamment à l’endroit où nous pourrions nous cacher en cas de bombardement soudain.

La guerre en Ukraine entraîne une crise sanitaire et je sais qu’il faut déployer énormément d’efforts pour maintenir les taux de tuberculose au niveau d’avant-guerre.

Je me demande souvent si nous ferions mieux de rester à Kharkiv ou de partir. Toutes les deux, nous aimons notre ville et ma fille pleure quand je parle de partir, mais si la situation ne s’améliore pas, nous devrons peut-être chercher un nouveau foyer.

Depuis le début de la guerre en février 2022, 100% Life, avec le soutien du Fonds mondial, a apporté un soutien vital à plus de 800 habitants de Kharkiv atteints de la tuberculose. Actuellement, 94 employés et 20 bénévoles, dont Yulia, travaillent pour le réseau 100% Life de la région de Kharkiv.

Depuis février 2022, le Fonds mondial a investi plus de 25 millions de dollars US en financement d’urgence à la continuité des services de prévention, de dépistage et de traitement du VIH et de la tuberculose en Ukraine. Cette aide financière s’ajoute aux 190 millions de dollars US en subventions pour la période 2020-2022, y compris pour la riposte du pays au COVID-19.