La menace d’un monde qui se réchauffe : la prochaine pandémie sera-t-elle le paludisme ?

05 mai 2023 par Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial

La prochaine crise sanitaire mondiale ne sera peut-être pas une pandémie causée par une nouvelle infection respiratoire. À la place, nous pourrions voir le changement climatique accentuer de façon spectaculaire la menace d’une maladie infectieuse existante, par exemple le paludisme, une maladie qui tue un enfant chaque minute de chaque jour.

Le paludisme, comme d’autres maladies à transmission vectorielle, réagit en peu de temps au changement climatique, l’épidémiologie de la maladie évoluant rapidement en réponse à l’évolution des régimes de précipitations et à la hausse des températures. Nous observons déjà des cas de paludisme à des altitudes plus élevées, comme en Éthiopie et au Kenya, où les températures basses protégeaient jusqu’à présent les populations des moustiques. Les phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents, comme les cyclones violents et les inondations exceptionnelles, entraînent des flambées de paludisme soudaines et de nombreux décès. Après les inondations dévastatrices au Pakistan, les infections palustres ont plus que quadruplé. Malgré le déploiement d’efforts massifs, dont un financement d’urgence supplémentaire du Fonds mondial, le nombre de décès imputables au paludisme a grimpé en flèche, dépassant largement le nombre de personnes noyées et décédées directement des suites des inondations. Des pays comme le Malawi et le Mozambique, frappés par le cyclone Freddy en février 2023, savent que les inondations et les eaux stagnantes résultant de telles précipitations deviennent des lieux parfaits pour la reproduction des moustiques et peuvent rapidement entraîner une forte recrudescence des cas de paludisme.

Comme toujours, ce sont les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont les plus exposées à ces dynamiques. Il existe déjà un recoupement presque parfait entre les communautés désignées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme « très vulnérables aux effets du changement climatique » et celles qui sont les plus touchées par le paludisme. Quatre-vingt-quinze pour cent des infections palustres et 96 % des décès imputables au paludisme surviennent dans la région Afrique de l’Organisation mondiale de la Santé. Les enfants de moins de cinq ans comptent pour plus de 80 % des décès. Chez les adultes, ce sont les femmes enceintes qui sont les plus vulnérables.

Avec ces changements environnementaux, nous observons également une évolution dans les régions où vivent et prospèrent différentes espèces de moustiques. Par exemple, le moustique Anopheles stephensi, que l’on trouvait encore récemment majoritairement en Asie, a aujourd’hui été identifié dans de multiples régions d’Afrique. L’espèce Anopheles stephensi s’adapte plus facilement aux conditions urbaines que la plupart des moustiques, et contrairement à l’espèce Anopheles actuellement la plus répandue en Afrique, elle peut être le vecteur des deux types de parasites du paludisme, le Plasmodium falciparum et le Plasmodium vivax. Les programmes de lutte contre le paludisme en Afrique doivent maintenant combattre à la fois un nouveau moustique et un nouveau parasite du paludisme.

Bien entendu, le changement climatique n’est pas le seul défi à relever. Nous constatons également une plus grande résistance des moustiques vecteurs du paludisme aux insecticides à base de pyréthrinoïdes existants, ainsi qu’une plus grande résistance des parasites du paludisme aux traitements à base d’artémisinine existants. Bien qu’il existe des alternatives, comme les moustiquaires imprégnées d’insecticide à double action, elles sont toutes plus coûteuses.

Les conflits augmentent également le coût de la prestation de services de santé vitaux. Que ce soit au Mali, au Soudan du Sud ou au Myanmar, les conflits rendent la lutte contre le paludisme beaucoup plus difficile et plus coûteuse.

Confrontés à un tel tourbillon de défis simultanés, nous faisons face à un risque effrayant de voir une grande partie des gains durement acquis au cours des vingt dernières années de lutte contre le paludisme réduits à néant, avec une augmentation des infections et de la mortalité à travers le monde, dans des régions déjà durement touchées, des régions qui se pensaient débarrassées de la maladie et des régions qui n’en ont encore jamais souffert.

Nous ne pouvons pas tolérer une telle situation. Pour une maladie comme le paludisme, le réchauffement climatique ne fait qu’attiser les braises. Nous devons évidemment faire tout ce que nous pouvons pour ralentir le rythme du changement climatique, ou l’arrêter. Mais nous devons aussi éteindre le feu. Avec plus de financements et une introduction accélérée des dernières innovations dans la lutte antivectorielle, le diagnostic et le traitement, nous pourrions réduire de manière drastique la possibilité pour le changement climatique et la résistance de causer une explosion des infections palustres et des décès.

Les investissements dans des systèmes pour la santé plus efficaces et plus résilients sont essentiels. Les systèmes de surveillance de la maladie, les réseaux de laboratoires, les chaînes d’approvisionnement et les agentes et agents de santé communautaires sont vitaux pour vaincre le paludisme. Ces capacités et ces infrastructures sont également essentielles pour détecter tout pathogène futur susceptible de provoquer une pandémie et y faire face. Vaincre le paludisme n’est pas une alternative à de meilleurs investissements dans la préparation aux pandémies, mais un chemin à suivre, qui a comme avantage supplémentaire de sauver des centaines de milliers de vies d’enfants.

Vaincre le paludisme est également l’un des moyens les plus puissants de créer une plus grande capacité dans les systèmes de santé ruraux pour lutter contre d’autres maladies. Dans de nombreuses régions rurales d’Afrique, les capacités de prise en charge du paludisme par le système de santé local sont déjà dépassées. Pourtant, dans les régions où le nombre de cas de paludisme a été réduit avec succès, les mêmes structures de santé communautaires sont en mesure d’intensifier d’autres services essentiels, tels que la santé maternelle ou la prise en charge de maladies chroniques, comme le diabète ou les maladies cardiaques.

Au cours des vingt dernières années, la Journée mondiale de lutte contre le paludisme a été l’occasion de célébrer les progrès que nous avons accomplis contre l’une des pandémies les plus meurtrières que l’humanité ait connues, et qui compte parmi celles ayant duré le plus longtemps. Cette année toutefois, elle nous a servi à tirer la sonnette d’alarme. Avec le changement climatique et la résistance, la lutte contre le paludisme va devenir beaucoup plus difficile. Il est donc temps d’agir résolument avant que le paludisme, sans doute notre plus ancienne pandémie, ne devienne la prochaine pandémie qui nous menacera toutes et tous.

Cet article d’opinion a été publié pour la première fois dans Forbes.