La lutte contre le VIH a été marquée par des changements spectaculaires au cours des 20 dernières années. Au tournant du millénaire, il existait des traitements antirétroviraux très efficaces – mais seulement dans les pays riches. Pour les personnes vivant dans les pays à revenu faible ou intermédiaire – comme l’Afrique du Sud, mon pays natal – un diagnostic de séropositivité au VIH revenait à une condamnation à mort. J’ai une intime connaissance du désespoir qui régnait à cette époque : en 2001, j’ai été testée séropositive au VIH.
Durant cette période, des mères vivant avec le VIH se réunissaient pour écrire leurs « mémoires » – des recueils d’histoires qu’elles destinaient à leurs enfants, afin qu’ils conservent un souvenir d’elles après leur départ prématuré. Ces mémoires relataient l’historique familial et constituaient un témoignage poignant de parents souhaitant accompagner leurs enfants dans un futur dont ils seraient absents.
Évidemment, j’ai refusé d’attendre la mort sans rien faire. Aux côtés des communautés de personnes vivant avec le VIH, je me suis jointe au combat. Ensemble, nous avons investi les rues pour clamer nos revendications. Nous avons condamné la négligence des gouvernements et l’avidité des sociétés pharmaceutiques plus soucieuses de leur profit que de la vie humaine. Nous avons exigé l’équité et le traitement universel. À l’époque, un traitement antirétroviral pour une personne coûtait près de 10 000 dollars US par année. Notre lutte a conduit à une baisse vertigineuse du prix des antirétroviraux. En un rien de temps, le traitement s’est démocratisé. Nous sommes passés de moins de 50 000 personnes sous traitement contre le VIH en Afrique à plus de 20 millions aujourd’hui.
Malgré tous ces progrès, le VIH demeure une grande menace pour la santé publique. Une érosion des droits humains à travers le monde rend la lutte contre la maladie plus difficile. Les maladies liées au sida font chaque année plus de 600 000 victimes – autant de décès qui auraient pu être évités. Les profondes iniquités, que l’on constate autant à l’intérieur des pays qu’entre les États, alimentent l’épidémie : les populations clés et vulnérables sont les grandes oubliées des interventions de lutte contre le VIH. Alors que 29,8 millions de personnes vivant avec le VIH étaient sous traitement antirétroviral vital en 2022 dans le monde, près de 9,2 millions ne l’étaient toujours pas.
Ces iniquités entravent la lutte contre d’autres maladies infectieuses. Bien qu’il existe aujourd’hui des schémas thérapeutiques plus courts et mieux tolérés contre la tuberculose, il reste beaucoup à faire avant que les personnes qui en ont le plus besoin y aient accès. La plupart du temps, c’est le prix qui est en cause. L’équité d’accès au diagnostic de la tuberculose est également déficiente. Par exemple, de nouveaux vaccins contre le paludisme sont disponibles, mais ils demeurent hors de portée pour une bonne partie des groupes qui en ont le plus besoin.
Nous avons besoin d’un environnement favorable dans lequel tout le monde a accès aux services de santé, sans entrave. Notre lutte est loin d’être terminée.
Pour mettre fin au VIH comme menace pour la santé publique, nous devons nous appuyer fermement sur l’expérience du passé. Aux premiers stades de la lutte, il était facile de progresser rapidement contre le virus. Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de couvrir le dernier kilomètre, de fournir des tests et des traitements à toutes les personnes vivant avec le VIH qui en ont besoin, parce qu’une vague d’opposition à l’égalité de genre et aux droits humains alimente la stigmatisation et la marginalisation des personnes qui vivent dans des situations de vulnérabilité. Pourtant, si nous retenions les leçons apprises à nos débuts et laissions les communautés prendre résolument l’initiative de la riposte, nous pourrions venir à bout de la maladie.
Nous pouvons mettre fin au sida, mais seulement si les communautés affectées par le virus sont au cœur de toutes nos actions. Cela signifie investir dans les outils dont ces communautés ont besoin pour concevoir et mettre en œuvre des programmes de prévention et de traitement pour les populations les plus exposées aux risques. Cela signifie que les communautés assument la responsabilité de la conception, de la planification et de la mise en œuvre des programmes de lutte contre le virus. Ces ripostes dirigées par la communauté et les infrastructures requises pour leur pérennité nécessitent du financement et d’autres appuis.
Nous devons continuer d’investir dans des interventions qui génèrent un maximum d’opportunités de qualité pour les groupes les plus vulnérables, à commencer par les jeunes femmes et les filles. Nous devons augmenter notre soutien aux communautés qui sont aux prises avec des politiques et des législations répressives qui criminalisent les populations clés, comme les travailleuses et travailleurs du sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les personnes transgenres et de diverses identités de genre et les personnes qui consomment des drogues.
Avant tout, c’est la communauté de la santé mondiale dans son ensemble qui doit rallier le mouvement, en prenant en considération les communautés dans chaque programme de lutte contre le VIH et en investissant massivement dans cette approche holistique, afin de permettre aux communautés de jouer un rôle de premier plan dans tous les programmes de lutte contre le VIH.
Cette approche centrée sur les communautés peut mettre en branle un mouvement qui, non seulement mettra fin au sida, mais préparera aussi notre lutte contre les pandémies futures. Plusieurs des membres de la communauté, qui écrivaient leurs dernières volontés il y a 20 ans, finiront par écrire le dernier chapitre de l’histoire du VIH et d’autres maladies infectieuses.
Cet article d’opinion a été publié pour la première fois dans Aftonbladet.