Ne laissons pas le changement climatique faire échouer la lutte contre le paludisme

01 décembre 2023 par Peter Sands, Directeur Exécutif

Photo : Jacobabad, province de Sindh, Pakistan, le 3 novembre 2022. Aneefa Bibi porte sa fille de cinq ans, Hood, qui souffre de fièvre et de douleurs thoraciques. C’est dans des villages comme celui-ci que les besoins sont les plus grands après les récentes inondations, qui ont causé une recrudescence du paludisme, des maladies de peau et d’autres maladies, surtout chez les enfants.

Nous sommes à un moment charnière de la lutte mondiale contre le paludisme. Après des années de progrès rapides, elle a connu une stagnation autour de 2015. Depuis lors, la communauté participant à la lutte contre le paludisme est confrontée à une cascade de difficultés, notamment la résistance aux médicaments et aux insecticides, les conflits, le COVID-19 et le changement climatique.

Fort heureusement, grâce à l’action déterminée des programmes nationaux de lutte contre le paludisme et de leurs partenaires, nous avons pu garder le cap au niveau mondial et empêcher la maladie de revenir en force.

Alors que l’Organisation mondiale de la Santé publie l’édition annuelle de son Rapport sur le paludisme dans le monde, notre confiance dans cette résilience est mise à l’épreuve. En effet, le rapport montre que 2,1 milliards de cas de paludisme et 11,7 millions de décès ont été évités entre 2000 et 2022, mais il révèle aussi que les progrès s’enlisent et font même marche arrière dans certaines régions.

Plus que jamais, nous risquons de perdre notre combat contre cette maladie. Il n’existe aucun moyen précis de démêler l’impact des différentes problématiques qui entravent notre lutte contre le paludisme, car elles interagissent et se combinent de bien des façons. Mais les effets du changement climatique sont maintenant de plus en plus alarmants, avec la hausse des températures, une humidité plus élevée et des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus marqués élargissant l’habitat des moustiques porteurs du paludisme et entraînant une envolée du nombre d’infections dans le monde. Les communautés les plus vulnérables au paludisme sont également les plus fragiles face au changement climatique.

L’Afrique, qui porte 95 % de la charge de morbidité du paludisme, est également la région la plus touchée par le changement climatique, alors qu’elle est en la moins responsable. Le paludisme apparaît dans les régions montagneuses de pays comme l’Éthiopie et le Kenya, où il faisait auparavant trop froid pour les moustiques. Les inondations et autres phénomènes météorologiques extrêmes provoquent une recrudescence des infections, entraînant un engorgement des services de santé et le déplacement de communautés dans des pays comme le Kenya et la Somalie, actuellement sous les pluies d’El Niño, ou le Mozambique et le Malawi, mis à mal par le cyclone Freddy plus tôt dans l’année. Ces phénomènes extrêmes détruisent également les exploitations des populations rurales pauvres, ce qui accroît la malnutrition infantile qui, à son tour, exacerbe l’impact du paludisme. Les enfants souffrant de malnutrition sont beaucoup plus susceptibles de mourir de cette maladie.

La fréquence croissante des phénomènes météorologiques extrêmes fait des ravages dans la lutte contre le paludisme dans de nombreux autres pays à revenu faible ou intermédiaire en dehors de l’Afrique. Citons le Pakistan, où les inondations calamiteuses de 2022 ont entraîné une augmentation massive des cas de paludisme. Selon le Rapport sur le paludisme dans le monde, sur les 5 millions de cas supplémentaires observés entre 2021 et 2022 dans le monde, 2,1 millions sont survenus au Pakistan. Dans ce pays, les décès incrémentiels imputables au paludisme dépassent de loin les décès directs dus aux inondations.

Les effets indirects du changement climatique ont en outre des répercussions redoutables sur la dynamique de la maladie. La compétition croissante pour les ressources telles que l’eau et la terre alimente les conflits, ce qui perturbe les programmes de lutte contre les moustiques et de traitement des personnes infectées. Étant donné qu’un diagnostic et un traitement rapides sont indispensables pour éviter une forme grave de la maladie et un décès, l’accès réduit aux services de santé a un impact immédiat. La propagation alarmante de l’espèce Anopheles stephensi, un moustique vecteur du paludisme très présent dans les zones urbaines et extrêmement résistant à la plupart des insecticides, peut également être liée au changement climatique.

Nous devons de toute urgence réagir à ces premiers indicateurs des effets du changement climatique sur le paludisme et sur la santé mondiale en général. Si nous n’agissons pas maintenant, le paludisme pourrait ressurgir de manière spectaculaire, anéantissant les gains durement acquis ces deux dernières décennies. Alors que le monde se réunit cette semaine à Dubaï pour la COP28, nous devons saisir l’occasion de la première journée consacrée à la santé de la conférence sur le climat pour insister sur le caractère essentiel de la santé dans la riposte mondiale au changement climatique. Pour être équitable, cette riposte doit comprendre une action urgente en matière de santé mondiale et de paludisme en particulier. Peu de personnes contribuent moins aux émissions de carbone qu’un enfant vivant dans une zone rurale d’Afrique. Pourtant, les enfants sont parmi les plus exposés aux effets délétères du changement climatique.

La mise en œuvre d’une riposte globale aux effets du changement climatique sur la santé nécessitera d’agir urgemment sur plusieurs fronts, y compris par une intervention préventive pour réduire la menace des maladies les plus sensibles au climat (dont le paludisme), le renforcement de la résilience des systèmes de santé face au changement climatique et la réduction des émissions de carbone des structures de santé et des chaînes d’approvisionnement. Il faut mener des recherches supplémentaires pour résoudre les nombreuses questions sans réponse, notamment où et comment exactement le changement climatique affectera la santé humaine. Mais nous ne pouvons pas attendre d’avoir toutes les réponses. Nous devons en parallèle agir et mieux appréhender les problématiques.

Nous devons également forger de nouveaux partenariats visant à estomper les distinctions entre santé humaine, climat, santé animale et sécurité alimentaire. Il est indispensable d’adopter une approche « Une seule santé » qui reconnaît ces interdépendances. En outre, nous devons veiller à ce que nos interventions renforcent non seulement les systèmes de santé formels, mais aussi les systèmes communautaires qui jouent un rôle de première ligne crucial au service des populations les plus pauvres et les plus marginalisées.

Au cours des deux dernières décennies, nous avons réalisé d’énormes progrès dans la lutte contre le paludisme, mais nous sommes aujourd’hui arrivés à un moment décisif. Nous disposons d’outils puissants – y compris d’innovations telles que les moustiquaires à double action insecticide, la chimioprévention du paludisme saisonnier et les vaccins – mais nous avons besoin d’une plus grande volonté politique et de davantage de fonds pour les déployer rapidement et à grande échelle. Le changement climatique et la résistance croissante aux insecticides et aux traitements antipaludiques rendront la tâche infiniment plus difficile. Tout retardement coûtera des vies et de l’argent. Déjà, plus de 11 000 personnes meurent du paludisme chaque semaine, principalement des femmes enceintes et des jeunes enfants des communautés les plus pauvres du monde. Ne pas agir et regarder ce nombre augmenter serait pour le moins tragique. Le paludisme est une maladie qu’il est possible de prévenir et de guérir ; nous savons que nous pouvons le vaincre, car de nombreux pays l’ont déjà fait. Nous devrions utiliser la menace du changement climatique comme une incitation à redoubler d’efforts pour débarrasser le monde de cette terrible maladie, l’un des plus anciens ennemis de l’humanité.

Initialement publié par Forbes.