Pour en finir avec le sida, donnons le pouvoir à la jeunesse africaine

16 avril 2024 par Patrick Fouda, Co-fondateur et Directeur Exécutif du Réseau Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale d’adolescents et jeunes positifs (RAJ+ AOC)

A l’approche de la plus grande conférence internationale francophone sur le sida qui se tiendra à Yaoundé du 15 au 19 Avril (Afravih), le groupe d’activistes et d’entrepreneurs sociaux du  RAJ+ AOC et l’un de ses leader, Patrick Fouda, exhorte les sociétés africaines à faire confiance à leurs jeunes pour porter les coups décisifs à une épidémie qui ravage le continent depuis trop longtemps.

Quand le sida déferla sur l’Afrique à la fin du siècle dernier, alors que beaucoup de nos gouvernements niaient ou minimisaient le problème, ce sont les jeunes qui se sont mobilisés. Touchés en grand nombre, ils ont donné leur énergie et jusqu’à leur vie en combattant un fléau pour lequel il n’y avait alors que peu d’espoir de survie avant la généralisation des médicaments antirétroviraux. Regroupés en associations, ils réclamèrent au monde leur droit aux médicaments et aux soins. Leur combat connut un succès fulgurant.

Aujourd’hui, avec le soutien du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et d’autres partenaires, la plupart des pays africains gèrent d’importants programmes de lutte contre la maladie qui englobent soins, distribution d’antirétroviraux et de moyens de prévention, et riposte contre la stigmatisation et la discrimination des personnes séropositives. Avec des résultats encourageants. Depuis 2010, l’Afrique occidentale et centrale est ainsi parvenue à diviser par deux le nombre de nouvelles infections à VIH et de décès liés au sida.

Ce tableau globalement positif cache toutefois une face sombre : en Afrique, ce sont les jeunes de 15 à 24 ans qui demeurent les plus vulnérables au VIH. Les jeunes femmes, en particulier, font face à des normes de genre néfastes qui réduisent leur marge de manœuvre pour se protéger du VIH et du Sida ; par la suite, elles courent le risque de transmettre le virus à leur enfant au, par manque d’accès au traitement de prévention de la transmission de la mère à l’enfant (PTME). Les jeunes de moins de 25 ans peuvent être confrontés à des lois, coutumes et structures sociales qui les écartent d’une éducation sexuelle efficace en matière de prévention du VIH. Chaque semaine, plus de 300 adolescents africains de la région ouest et centre deviennent séropositifs, et beaucoup ne le savent pas. Par exemple, dans mon pays, le Cameroun, seuls 4 adolescents sur 10 connaissent leur statut sérologique. Pourtant, connaître son statut sérologique est un pas essentiel vers le traitement antirétroviral et les autres soins. Concernant les enfants de moins de 14 ans, la situation est encore plus préoccupante. En effet, en Afrique de l’Ouest et du Centre, les deux-tiers des enfants séropositifs ne reçoivent aucun médicament antirétroviral pédiatrique. De plus, près de la moitié des femmes enceintes séropositives ne bénéficient pas de la PTME, ce qui explique qu’un quart des enfants séropositifs dans le monde vivent en Afrique occidentale et centrale.

Pourtant, bien que le VIH continue de faire des ravages chez les moins de 25 ans, les jeunes sont paradoxalement les populations les moins consultées ou écoutées à l’échelle nationale et régionale en matière de santé sexuelle et de VIH. Les jeunes d’hier, ceux qui ont mené la première riposte contre le VIH/sida, sont désormais des parents, des aînés et les leaders qui gèrent les programmes de VIH/sida et sont très peu réceptifs à cet enjeu majeur, actuel et atemporel de la réponse au VIH et au Sida. La participation des communautés les plus touchées à tous les niveaux de la riposte au VIH, que nos aînés ont co-construit au prix de combats douloureux, reste le principe le plus important mais le moins respecté en ce qui concerne les jeunes en matière de lutte contre le sida. Nous n’arriverons à éliminer la maladie que s’il y a transmission de leadership entre les générations, en formant et en donnant confiance aux jeunes afin qu’ils puissent pleinement s’impliquer dans la riposte. Ceci est nécessaire pour deux raisons :  D’abord, sans l’apport des jeunes, les programmes nationaux et les partenaires au développement peinent à identifier les besoins en matière de VIH et de sida, car les jeunes séropositifs ou à risque ne sont pas une population homogène, mais des groupes interconnectés qui ont des besoins différents :  jeunes filles, jeunes des villes, adolescent(e)s des régions éloignées, adolescent(e)s qui ont abandonné l’école, jeunes migrants ou réfugiés, ou encore jeunes populations vulnérabilisées par la stigmatisation et la discrimination. Ensuite, si nous n’arrivons pas à identifier les besoins, les programmes ne peuvent pas s’adresser à tous les adolescent(e)s et jeunes au travers d’approches adaptées à chaque communauté.  Par exemple, certains jeunes redoutent de se rendre dans leur centre de santé pour le dépistage du VIH par crainte d’être reconnus ou stigmatisés ; or ils pourraient s’adresser à des structures plus informelles, telles des associations de jeunesse, pour obtenir des autotests à utiliser chez eux.

Sans l’apport essentiel des jeunes, nous risquons de sacrifier notre rêve commun d’en finir avec le sida. En effet, plus un pays, une culture, ou un programme écarte les communautés affectées par le VIH de la prise de décision en matière de santé sexuelle et de VIH, plus la maladie peut se transmettre et persister ; et en Afrique, ces communautés sont en majorité jeunes.

La situation requiert davantage d’investissements ciblés sur la PTME, les antirétroviraux pédiatriques, l’éducation des jeunes en matière de genre et de prévention du VIH, les programmes contre la stigmatisation et la discrimination, et le renforcement du leadership et des capacités institutionnelles des organisations dirigées par des jeunes. Ces actions sont indispensables pour préserver les acquis du passé et garantir notre avenir, et doivent etre construites, mise en œuvre et évaluées avec, par et pour des jeunes.

Nous sommes l’avenir de l’Afrique. Si rien n’est fait, beaucoup d’entre nous continueront de mourir par manque de soins adaptés, de médicaments et de prévention. Si des actions concertées et urgentes avec nous, pour nous et par nous ne sont pas prises, beaucoup d’entre nous serons condamnés à vivre toute une vie avec un virus désormais évitable. Le chemin vers l’élimination du VIH et du sida a débuté avec les jeunes d’hier. S’ils sont écoutés et participent pleinement à la réponse, ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui mettront fin à l’épidémie et permettront l’émergence, de la première génération sans sida en Afrique depuis un demi-siècle.

Cet article d’opinion a été publié pour la première fois sur Jeune Afrique.