Quand je me suis rendu à Dacca, en juillet dernier, la ville ployait sous l’humidité et la chaleur écrasantes de la saison des pluies. L’air était lourd et chaud tandis que je marchais, accompagné d’un agent de santé communautaire, dans les sinueux quartiers de fortune qui constituent l’un des immenses bidonvilles entourant la capitale du Bangladesh.
J’arrivais dans ces lieux bien conscient de tous les facteurs de risque sociaux, économiques et sanitaires qui alimentent depuis des siècles la propagation de la tuberculose. Mais c’est en entendant les personnes atteintes de tuberculose rencontrées à cette occasion m’expliquer invariablement avoir été poussées à Dacca par les conséquences de conditions météorologiques extrêmes, ou de la dégradation des terres agricoles, que m’est apparue clairement l’urgence de placer la santé au cœur de la politique climatique. Si nous voulons faire face aux menaces combinées que représentent le changement climatique et les maladies, il nous faut intégrer la question de la santé dans nos efforts de renforcement de la résilience et d’adaptation face au changement climatique.
Le Bangladesh est l’un des pays les plus vulnérables au climat dans le monde. Une grande partie de son territoire est située sur un vaste delta, ce qui l’expose aux inondations et à l’élévation du niveau de la mer. Des cyclones toujours plus puissants détruisent les habitations et paralysent les infrastructures sanitaires essentielles. L’intrusion saline provoquée par l’eau de mer rend les terres agricoles du littoral incultivables. Elle contamine des sources vitales d’eau douce et, associée aux sécheresses et au changement des cycles de précipitations, elle affaiblit la productivité agricole.
L’Organisation internationale pour les migrations estime que 70 % des personnes qui vivent dans les campements informels de Dacca s’y sont installées pour fuir un bouleversement environnemental. Confrontées à des opportunités d’emploi aussi rares que mal rémunérées, les personnes impactées par la migration climatique ne mangent souvent pas à leur faim et vivent dans des environnements confinés et surpeuplés. Au milieu de ces personnes vulnérables et sous-alimentées, entassées les unes sur les autres, la tuberculose prolifère. Il est nécessaire de reconnaître les enjeux de santé publique tels que celui-ci et de les placer au premier rang des priorités des plans d’action pour le climat, en particulier lors de sommets mondiaux comme la COP29, qui se tient actuellement à Bakou, en Azerbaïdjan. Cette démarche nous permettra de mieux préparer nos systèmes de santé afin d’atténuer le risque d’épidémies dans les communautés vulnérables affectées par le changement climatique.
L’impact du changement climatique sur les maladies à transmission vectorielle, comme le paludisme et le choléra, est déjà évident. Mais il entraîne aussi des répercussions – moins flagrantes – sur d’autres maladies, comme la tuberculose. Dans les pays vulnérables au climat, les déplacements massifs dus à des conditions météorologiques extrêmes provoquent une surpopulation et une dégradation des conditions de vie, qui à leur tour augmentent le risque de transmission de la tuberculose.
Ces déplacements obligent aussi certaines personnes à interrompre leur traitement contre la maladie. Elles restent alors plus longtemps contagieuses et sont susceptibles de développer une tuberculose pharmacorésistante, qui est bien plus difficile et onéreuse à traiter. L’insécurité alimentaire et la pauvreté causées par le changement climatique peuvent aggraver les résultats de l’action sanitaire chez les populations vulnérables affectées par la tuberculose, car une personne sous-alimentée est beaucoup plus à risque de contracter la maladie. En 2023, la sous-nutrition était le principal facteur de risque d’infection tuberculeuse dans une large portion des 30 pays les plus touchés par la tuberculose.
Le changement climatique sape également la capacité des systèmes de santé à soutenir et à protéger les personnes. Ce phénomène, à son tour, entrave les efforts de lutte des pays contre la tuberculose, le VIH et le paludisme, trois des maladies les plus contagieuses au monde. Dans des lieux tels que Dacca, l’afflux de personnes déplacées par le changement climatique met à rude épreuve des systèmes de santé déjà très sollicités. Cette situation n’a rien d’unique : un grand nombre de pays vulnérables au climat reposent sur des systèmes de santé aux abois. Au Malawi, les pluies torrentielles provoquées par le cyclone Freddy en 2023 ont emporté dans leur sillage données sanitaires, fournitures médicales et infrastructures essentielles, exposant ainsi de nombreuses personnes aux maladies et aux risques de santé publique. Ce n’est qu’en intégrant la question de la santé dans nos ripostes au changement climatique que nous pourrons soutenir les communautés qui luttent contre le double fardeau des crises climatiques et sanitaires, prévenir les épidémies et protéger les systèmes de santé contre le changement climatique.
Nous devons saisir l’occasion historique que représente la COP29 pour intensifier les efforts et mobiliser les ressources qui nous permettront de faire face aux effets du changement climatique sur la santé. Aujourd’hui, moins de 1 % du financement multilatéral pour le climat est consacré à la santé, un écart criant qui risque de compromettre les efforts de lutte contre les maladies exacerbées par le changement climatique. En comblant ce fossé, nous pouvons aider les pays à défendre leurs communautés contre les menaces sanitaires liées au climat, en particulier les maladies comme le VIH, la tuberculose et le paludisme.
La santé doit être placée au cœur des discussions sur le climat, des indicateurs climatiques et des contributions déterminées au niveau national (les plans et engagements nationaux pris par les pays dans le cadre de l’Accord de Paris, un traité international juridiquement contraignant sur le changement climatique). Augmenter les investissements dans les initiatives liées au climat et à la santé, et les traiter de manière prioritaire, nous permettra de protéger les populations les plus vulnérables et de préparer les systèmes de santé à résister aux chocs climatiques, en plus de bénéficier à la sécurité mondiale et la stabilité économique.
En décollant de Dacca, j’observais le Bangladesh s’étalant à mes pieds, comme une mosaïque époustouflante de rivières, de champs et de zones urbaines densément peuplées, cernées par des eaux à la fois nourricières et menaçantes. Les pays à revenu faible ou intermédiaire comme le Bangladesh subissent les conséquences d’une crise qu’ils n’ont pas provoquée et supportent le poids des effets les plus sévères du changement climatique, qui vient faire obstacle à leurs efforts de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.
Nous devons agir avec détermination pour corriger cette injustice. En mobilisant davantage de financements pour des systèmes de santé résilients face au changement climatique et en faisant de la santé un pilier central de la riposte au changement climatique, la communauté internationale pourra soutenir les populations vulnérables qui subissent de plein fouet ce phénomène, dynamiser la lutte contre les maladies infectieuses les plus mortelles et construire un avenir plus sain et plus sûr pour toutes et tous.
Cet article d’opinion a été publié pour la première fois dans Forbes.