L’occasion de voir les communautés à l’œuvre contre le COVID 19 au Kenya

10 juin 2020 par Ernest Waititu, membre du personnel du Fonds mondial

J’ai l’impression que c’était il y a un an, mais je n’ai quitté Genève, où je vis et travaille, que le 19 mars pour rejoindre ma ville natale, Nairobi. J’y ai atterri le matin du 20 mars, une semaine après la confirmation du premier cas de coronavirus au Kenya et quelques jours avant que les aéroports de Nairobi ne ferment pour les vols réguliers internationaux de passagers.

Dès le début de la pandémie de COVID-19, le Kenya, comme bien d’autres pays africains, a rapidement mis en place des mesures de santé publique pour stopper le virus. À mon arrivée, j’ai été prié de fournir des informations détaillées sur mon voyage et j’ai été invité à respecter une quarantaine volontaire de 14 jours avant de retrouver ma famille. Depuis mars, les autorités kenyanes encouragent activement tous les habitants à rester chez eux et ont instauré un couvre-feu du crépuscule à l’aube. Tous les trajets de et vers Nairobi et d’autres centres épidémiques ont été interrompus. Je suis donc resté chez moi, ne sortant qu’occasionnellement pour faire quelques courses.

Mon enthousiasme était donc à son comble lorsque, la dernière semaine de mai, il m’a été proposé de me rendre dans l’ouest du Kenya pour observer les mesures que le pays déploie pour enrayer la propagation du virus. Travaillant dans la santé mondiale, je souhaitais voir les agents de santé communautaire, réputés pour leur combat contre le paludisme, à l’œuvre contre la pandémie de COVID-19. De Genève aux zones rurales du Kenya en passant par Nairobi, chacun fait face au COVID-19 du mieux qu’il peut : en s’appuyant sur des hôpitaux et des unités de soins intensifs dernier cri, sur des systèmes de soins de santé formels ou sur les systèmes communautaires. Les zones rurales kenyanes comptent fortement sur le capital social bâti autour des agents de santé communautaire, formés pour prodiguer une éducation de base et des soins de santé primaires dans la lutte contre les maladies infectieuses. Le pays est toujours aux prises avec le COVID-19, mais près de trois mois après la déclaration du premier cas, de nombreuses personnes ici continuent d’espérer que le Kenya échappera aux ravages de la pandémie et, si tel est le cas, il devra son salut à des solutions simples, dont bon nombre sont mises en œuvre par les communautés.

Fort du permis fourni par Amref Health Africa, une organisation non gouvernementale avec laquelle collabore le Fonds mondial où je travaille, j’ai parcouru les 350 kilomètres séparant Nairobi du comté de Homa Bay, sur les rives du lac Victoria, pour témoigner du travail de ces agents de santé. Sur mon trajet, j’ai été contrôlé à cinq reprises par la police, à chaque entrée dans une nouvelle province, appelée comté. Lors des contrôles, les policiers portaient bien leur arme de service, mais c’est une arme nettement moins traditionnelle qu’ils dégainaient : un thermomètre qu’ils pointaient sur moi pour vérifier que ma température était normale. Si ma température m’avait trahie, je n’aurais pas pu passer et j’aurais alors été transféré vers le centre de quarantaine le plus proche pour y subir un test de dépistage du COVID-19 et attendre les résultats avant d’être autorisé à reprendre mon chemin.

À mon arrivée à Homa Bay, j’ai pu constater la puissance des systèmes communautaires à l’œuvre. J’ai rencontré une armée d’agents de santé communautaire, se rendant d’une maison à l’autre pour y effectuer des tests de dépistage du paludisme et préparer les communautés à l’arrivée du COVID-19. Des équipements de protection individuelle avaient été distribués aux agents de santé communautaire, en plus des produits antipaludiques, pour leur permettre de poursuivre leur mission essentielle de dépistage et de prise en charge des personnes atteintes de paludisme, et pour fournir aux communautés des informations sur la façon d’empêcher la propagation du COVID-19.

Organisés au sein d’un groupe nommé Kinda Women Group, les agents de santé communautaire – pour la plupart des femmes – sont formés pour détecter les symptômes du COVID-19 et les dissocier de ceux du paludisme. Désormais armés de masques et de gants chirurgicaux, ils intègrent des messages de santé relatifs au COVID-19 aux informations sur le paludisme qu’ils prodiguent lors de leurs visites dans les communautés. Ils font aussi office de sentinelles communautaires, surveillant l’arrivée de nouveaux venus dans leurs zones et prévenant les autorités pour qu’elles prennent les mesures afin de dépister les visiteurs et les placer en quarantaine.

Pour une zone comptant près d’un million d’habitants, Homa Bay accomplit un travail remarquable pour enrayer la propagation du virus. Au moment de ma venue, le comté n’avait enregistré que trois cas confirmés de COVID-19. Si d’autres devaient s’y déclarer, ces agents de santé – qui dispensent des soins de santé directement à domicile dans les communautés rurales mal desservies, loin de tout dispensaire de briques et de ciment – joueront sûrement un rôle majeur dans la lutte contre la maladie.

Ces agents de santé sont des héros, à l’image de Doreen Oruoch, 54 ans, qui a passé ces dix dernières années à aider une centaine de foyers dans la lutte contre le paludisme. C’est une petite femme qui marche vite, mais parle lentement et doucement – deux atouts qui ont probablement grandement contribué à son succès dans le service communautaire. Doreen a convaincu sa communauté d’utiliser des moustiquaires pour prévenir le paludisme et de dépister et traiter les cas. Depuis dix ans qu’elle travaille dans cette zone endémique palustre, elle n’a jamais perdu un seul enfant de moins de cinq ans, le groupe le plus vulnérable face à la maladie. Aujourd’hui, avec la même passion, elle met ses compétences au service de la prévention de la propagation du COVID-19 dans son village.

Dans cette lutte contre le nouvel ennemi, le plus grand rôle de Doreen est d’éduquer la communauté pour améliorer les conditions d’hygiène. C’est ainsi qu’à l’entrée de chaque foyer dont elle s’occupe, on trouve du savon et un bidon en plastique de dix litres, transformé en réservoir d’eau.

Alors que je quittais le village de Doreen pour reprendre ma route vers Nairobi au rythme des contrôles de police, son travail ainsi que celui des autres agents de santé communautaire d’Afrique subsaharienne, qui combattent la nouvelle pandémie en appliquant les dures leçons tirées de leur lutte contre d’autres tueurs, comme le paludisme, sont devenus pour moi une formidable source d’inspiration.