Journée mondiale de lutte contre la tuberculose : entre crise et espoir

24 mars 2021 par Peter Sands, directeur exécutif

En 2020, nous avons tous été témoins des effets dévastateurs d’une pandémie transmissible par voie aérienne. En un peu plus d’un an, le COVID-19 a causé plus de 2,6 millions de décès. Il ne faut cependant pas oublier que dans les communautés les plus pauvres et les plus marginalisées du monde, une autre pandémie transmissible par voie aérienne – la tuberculose – sévit depuis des millénaires, et a fait des dizaines de millions de victimes. L’apparition du COVID-19 n’a fait qu’aggraver la situation.

Au fur et à mesure que le COVID-19 se propageait à travers le monde, les travailleurs de la santé, l’équipement de dépistage, les laboratoires et les centres de santé voués à la lutte contre la tuberculose et d’autres maladies ont été mobilisés pour contrer la nouvelle pandémie. Les premiers résultats des enquêtes du Fonds mondial révèlent les effets dévastateurs de la réaffectation de ces ressources : dans 13 pays lourdement touchés par la tuberculose, le nombre de personnes testées pour cette maladie a baissé de 29 % en 2019 par rapport à 2020. Non traitée, une seule personne atteinte de la tuberculose peut infecter jusqu’à 15 personnes en une année, voire mourir de la maladie. Fait inquiétant, ces mêmes pays ont enregistré une baisse de 45 % du nombre de personnes testées pour la tuberculose multirésistante – l’une des formes les plus redoutables de résistance aux antimicrobiens.

Il y a néanmoins de l’espoir. Dès le début de la nouvelle pandémie, le Fonds mondial a investi près d’un milliard de dollars US en vue d’atténuer les impacts du COVID-19 sur les programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et de renforcer les systèmes de santé. Jusqu’à présent, il semble que cette riposte immédiate ait permis d’éviter le scénario catastrophique d’une montée en flèche du nombre de décès et de cas. À titre d’exemple, l’Inde et le Bangladesh, après avoir connu une chute des taux de dépistage de la tuberculose durant les premiers mois de la pandémie de COVID-19, testaient et traitaient vers la fin de 2020 presque autant de patients qu’avant la pandémie. Ces pays ont prouvé qu’avec une aide financière et un leadership adéquats, il est possible de conserver les acquis de la lutte contre la tuberculose.

Les défis de la pandémie de COVID-19 ont stimulé l’innovation et catalysé l’adoption de nouvelles approches de lutte contre la tuberculose. Les patients atteints de tuberculose reçoivent désormais des réserves de médicaments antituberculeux pour un ou deux mois, afin que la continuité du traitement soit assurée sans que des déplacements soient nécessaires. Les pays ont été encouragés à accélérer la transition vers des régimes thérapeutiques oraux pour la tuberculose pharmacorésistante. De nouvelles applications mobiles, qui permettent aux patients de signaler leurs progrès et les effets secondaires du traitement, remplacent les visites quotidiennes de suivi en clinique – visites qui accaparent beaucoup de ressources. Ces nouvelles méthodes améliorent l’observance du traitement et nous permettent de prendre en charge un plus grand nombre de personnes tuberculeuses et d’accélérer l’éradication de l’épidémie de tuberculose.

La pandémie de COVID-19 est une occasion pour nous de lutter plus efficacement contre les deux maladies dans un même élan – et d’être mieux préparés à affronter les prochaines pandémies transmissibles par voie aérienne. Les outils développés par le partenariat du Fonds mondial pour lutter contre la tuberculose sont aujourd’hui utilisés pour lutter contre le COVID‑19 : les agents de santé communautaire testent, retracent et isolent les patients pour prévenir la transmission; les groupes communautaires échangent les informations essentielles de prévention pour protéger les populations contre l’infection; les laboratoires et les centres de santé disposent déjà de l’équipement de dépistage et de la formation nécessaires pour dépister autant la tuberculose que le COVID-19.

L’Inde montre encore la voie avec un nouveau programme de dépistage simultané du COVID-19 et de la tuberculose. Comme le COVID-19 et la tuberculose présentent des symptômes similaires, il devient possible de stopper la transmission des deux maladies, et surtout, de garantir un traitement aux patients atteints de la tuberculose.

L’expérience du COVID-19 nous montre ce dont l’humanité est capable lorsqu’elle s’unit contre un ennemi commun et se donne les moyens de le combattre, et c’est peut-être la leçon la plus importante à en tirer. Des tests rapides et des vaccins pour le COVID-19 ont été mis au point en moins d’un an. Des données en temps réel sur la pandémie permettent aux pays de réagir rapidement aux flambées épidémiques et de les contenir. En comparaison, il n’y a toujours pas de vaccin efficace contre la tuberculose, les tests sont coûteux et doivent être effectués en laboratoire, et les spécialistes de la tuberculose doivent patienter 18 mois pour recevoir des statistiques annuelles sur la maladie.

Ce que nous avons fait pour lutter contre le COVID-19, nous pouvons et nous devons le faire pour lutter contre la tuberculose. Sinon, nous aurons simplement vaincu une pandémie transmissible par voie aérienne aux dépens d’une autre, qui aura enregistré une hausse vertigineuse des décès et des cas. Avant même la pandémie de COVID-19, sur 10 millions de personnes contractant la tuberculose chaque année, seulement 7,1 millions étaient testées et traitées. Cela représente 2,9 millions de personnes atteintes de la tuberculose manquant à l’appel qui continuent à transmettre la maladie, ou qui en meurent, sans traitement. Moins nous dépistons, testons et traitons la tuberculose, plus grand est le risque de propagation de la tuberculose multirésistante à travers le monde.

En cette Journée mondiale de lutte contre la tuberculose, nous devons tirer les leçons de notre combat contre ces deux pandémies. Il est impératif de renforcer les systèmes de santé mondiaux et d’unir nos ressources. D’autres pandémies transmissibles par voie aérienne viendront. Nous devons nous y préparer dès maintenant pour renforcer la sécurité sanitaire mondiale.

Cette tribune libre est d’abord parue dans l’Asahi Shimbun GLOBE+.