Agilité des données : Un terme à la mode, ou un terme qui change la donne pour la santé mondiale ?

13 janvier 2022 par Jinkou (Button) Zhao, spécialiste principal, suivi et évaluation

Au cours des deux dernières années, la pandémie de COVID-19 et les ripostes à cette dernière ont causé une perturbation massive des services de santé essentiels, en particulier ceux qui soutiennent la prévention, le diagnostic et le traitement du VIH, de la tuberculose et du paludisme. Malgré les efforts déployés à l'échelle mondiale en matière de prévention, de diagnostic et de traitement, le monde continue d’observer une riposte sans précédent et inéquitable à la pandémie de COVID-19 et de constater les impacts sur les services de santé.

Les données, une arme indispensable dans toute lutte contre les pandémies, ont fait l'objet d'une grande attention de la part des politiciens, des professionnels de la santé et même du public. En l'espace de quelques mois, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), en collaboration avec ses partenaires, a établi des systèmes de communication de l’information quotidiens pour le COVID-19. Les experts travaillant pour des programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme dans des organisations internationales se sont demandé pourquoi il n'était pas possible d'établir des rapports quotidiens pour leurs programmes, surtout après des décennies d'investissements. Le terme « agilité des données » est apparu progressivement dans leurs discours.

Mais qu'est-ce que l'agilité des données ?

En fait, les partenaires de développement en matière de santé mondiale n’ont convenu d’aucune définition de l'agilité des données. Définie ici, l'agilité des données consiste à accéder aux données et aux résultats analytiques dont les responsables de la santé ont besoin pour prendre rapidement des décisions. Il s'agit du laps de temps entre la génération des données et la prise de décision. En bref, il s'agit de disposer des bonnes données, au bon moment, pour le bon niveau de prise de décision.

Pour parvenir à l’agilité des données pendant la pandémie de COVID-19, en plus du rapportage des cas journaliers, les acteurs mondiaux ont créé des mécanismes d'urgence pour collecter les données nécessaires à la compréhension de leurs programmes et à la prise de mesures en temps opportun.  La Banque mondiale a mis en place le tableau de bord de suivi à haute fréquence COVID-19 et le Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents a mis en œuvre des enquêtes téléphoniques répétées auprès des établissements de santé. L'OMS a recommandé et mis en œuvre la continuité des services de santé essentiels : Outil d'évaluation des établissements, où les données sont collectées trimestriellement auprès des établissements sentinelles. En 2020, le Fonds mondial a également créé des mécanismes d'urgence, dont le suivi national bihebdomadaire et mensuel du COVID-19, les contrôles ponctuels de la continuité des services de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ainsi que le suivi mensuel des indicateurs. Ces mécanismes d'urgence ont été adaptés en 2021 pour inclure les processus avec une portée élargie, notamment les contrôles ponctuels et les prises de pouls de la chaîne d'approvisionnement et des services de santé.

Ces mécanismes d'urgence visent à recueillir plus rapidement des données de qualité en nombre suffisant pour faciliter les discussions et les décisions au niveau supérieur (national ou mondial) ou pour fournir des données essentielles qui ne sont pas disponibles autrement. Ces mécanismes d'urgence doivent être faciles à mettre en œuvre. Avec des environnements de mise en œuvre perturbés, toute conception sophistiquée, comme l'échantillonnage aléatoire, rencontre inévitablement des déviations par rapport à la conception. De tels écarts peuvent entraîner des données biaisées qui induisent en erreur ceux qui prennent des décisions sur la base de ces données.

Tous les mécanismes d'urgence s'appuient sur les systèmes d'information sanitaire de routine. En dehors des situations d'urgence, les données générées par les systèmes d'information sanitaire de routine sont analysées et communiquées pour la prise de décision à différents niveaux, chaque jour ou chaque semaine au niveau de l'établissement, et chaque semestre ou chaque année au niveau national ou mondial. Comme personne n’était chargé des données sur le COVID-19 lorsque la pandémie a commencé, des mécanismes d'urgence ont été mis au point, quitte à perturber les systèmes d'information sanitaire de routine. Ces mécanismes ont aussi été perçus par certains comme étant « parachutés » ou « parasites » avec l'embauche de prestataires externes. 

La pandémie de COVID-19 a grandement perturbé les services de santé. Les mécanismes d'urgence créés pour produire plus rapidement des données permettant de prendre des décisions en temps opportun pendant la pandémie sont des « innovations perturbatrices ». Certains de ces mécanismes d'urgence seront mis de côté lorsque la pandémie de COVID-19 prendra fin, tandis que d'autres, présentant une valeur ajoutée, pourront être intégrés dans les systèmes d'information sanitaire de routine actuels, sans toutefois les remplacer. Les perturbations sont souvent passives, mais l'innovation, ou le fait de ne pas accepter le statu quo, est un choix, et parfois un choix difficile.