Il est urgent d’empêcher le paludisme d’emporter la vie de plus d’enfants

21 septembre 2023 par Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial

Je me suis rendu à Kano, une ville ancienne dans le nord du Nigéria, où je suis allé visiter des structures de santé en compagnie de l’impressionnant nouveau ministre de la Santé du Nigéria, le professeur Muhammad Ali Pate. Cette semaine, je serai à New York, avec les leaders de près de 200 pays et de nombreux autres responsables d’organismes comme moi, afin de défendre l’idée que nous devons faire plus pour protéger les personnes les plus pauvres de ce monde contre les maladies infectieuses les plus mortelles.

J’aimerais emmener ces leaders dans les cliniques et les hôpitaux que nous avons visités, à Kano. Il n’existe pas de prise de conscience plus forte qu’une visite dans un service où 24 nourrissons atteints d’une forme grave de paludisme se battent pour leur vie. Il n’y a rien de plus bouleversant que d’assister au désespoir silencieux d’une mère. Nulle conversation n’a plus d’impact que celle avec les membres du personnel médical et infirmier surmenés, qui luttent pour sauver la vie de ces enfants tout en manquant de lits, avec des réserves d’oxygène rudimentaires, et en subissant des pannes de courant.

Aucun de ces enfants ne devrait se trouver à l’hôpital. Le paludisme est une maladie que l’on peut prévenir et soigner. Les moustiquaires imprégnées d’insecticides, la chimioprévention du paludisme saisonnier et d’autres interventions réduisent le risque d’infection de façon significative. Un diagnostic et un traitement rapides, administrés dans la communauté, sont très efficaces pour prévenir une maladie grave. Pourtant, au Nigéria seulement, plus de 500 personnes – principalement des enfants et des femmes enceintes – meurent chaque jour du paludisme.

En tant que premier bailleur mondial de financement externe pour le paludisme, le Fonds mondial, mon organisation, investit plus de 125 millions de dollars US par an dans la lutte contre le paludisme au Nigéria, en travaillant main dans la main avec le Programme national d’élimination du paludisme du gouvernement, des partenaires comme l’Initiative du Président des États-Unis contre le paludisme et l’Organisation mondiale de la Santé, ainsi que de nombreuses organisations de la société civile et communautaires. Nous avons réalisé d’importants progrès. Bien que le Nigéria enregistre plus d’un quart des cas de paludisme dans le monde, le taux de mortalité du paludisme y a chuté de 55 pour cent depuis le début du siècle. Les agentes et agents de santé que j’ai rencontrés à Kano m’ont dit que l’introduction de la chimioprévention du paludisme saisonnier avait amélioré la situation, comparé à quelques années auparavant seulement.

Et pourtant, personne ne peut observer autant d’enfants se battre pour leur vie sans penser que, même si la situation s’est améliorée, ce n’est toujours pas assez. Nous devons faire plus – et nous devons le faire maintenant.

Ce sentiment d’urgence s’accentue lorsque l’on considère tous les facteurs qui alimentent la menace. Le changement climatique modifie l’épidémiologie du paludisme, affecte sa répartition géographique et le rend moins prévisible. On observe aujourd’hui le paludisme dans les hauts plateaux de pays comme l’Éthiopie et le Kenya, où il faisait auparavant trop froid pour les moustiques. Les phénomènes météorologiques extrêmes, comme les cyclones et les inondations, provoquent une recrudescence des cas de paludisme dans les pays les plus exposés au changement climatique, comme cela a été le cas au Mozambique, au Malawi et au Pakistan. Pendant ce temps, les moustiques deviennent résistants aux insecticides les plus couramment utilisés et le parasite du paludisme devient résistant à l’artémisinine, le traitement le plus souvent utilisé.

Nous avons des réponses à certains de ces défis, notamment des moustiquaires novatrices qui sont imprégnées d’une combinaison de deux insecticides, et nous avons également pour perspective de nouveaux vaccins, diagnostics et traitements monoclonaux. Mais aucune de ces réponses n’est un remède miracle, et elles prendront toutes du temps.

Et elles nécessiteront des financements. Le problème fondamental de la lutte contre le paludisme, c’est le manque d’argent. Nous dépensons incroyablement peu pour cette maladie – peut-être parce que les personnes qui en souffrent sont trop jeunes et trop pauvres pour se faire entendre. Le total des dépenses mondiales consacrées au paludisme était de 3,5 milliards de dollars US en 2021, soit un déficit de financement de près de 4 milliards de dollars US qui continue de se creuser.

Au Nigéria, le ministre de la Santé, professeur Pate, a pris ses fonctions il y a moins d’un mois, avec le soutien sans réserve du président Bola Ahmed Tinubu, et pourtant il agit déjà rapidement et de manière décisive pour renforcer la gouvernance, améliorer la coordination et obtenir de meilleurs résultats de santé. Il est déterminé à renforcer les capacités des 120 000 agentes et agents de santé communautaires du Nigéria, qui jouent un rôle essentiel pour s’assurer que les enfants qui contractent le paludisme soient diagnostiqués et traités rapidement. En dépit de graves difficultés économiques et budgétaires, le gouvernement nigérian augmente ses dépenses de santé.

Mais il est également vital d’augmenter le financement externe consacré au paludisme. De nombreux pays parmi les plus touchés par le paludisme, comme le Mali, le Soudan et le Niger, sont aux prises avec des conflits. Beaucoup d’autres, comme le Malawi ou le Mozambique, sont restreints économiquement et lourdement endettés. La concordance entre la liste des pays les plus vulnérables au changement climatique et la liste de ceux qui sont les plus lourdement touchés par le paludisme est alarmante.

Alors que les leaders se réunissent à New York, je doute que les enfants des hôpitaux de Kano – et les centaines de milliers d’autres comme eux, ailleurs – ne fassent partie de l’ordre du jour. Le changement climatique, les conflits, et même la façon dont nous nous préparons à la prochaine pandémie seront au cœur des échanges. Tous ces sujets sont importants et méritent une attention mondiale. Mais j’espère que dans tous ces échanges, nous reconnaîtrons que le paludisme, sans doute la plus ancienne pandémie, est toujours présent et tue encore des enfants. Que si nous voulons sérieusement riposter au changement climatique, et ce équitablement, nous devons protéger les enfants les plus pauvres du monde de cette maladie mortelle alimentée par le réchauffement climatique. Et que pour une fraction de l’argent que nous dépensons pour ces autres défis, nous pourrions sauver des centaines de milliers de jeunes vies.

Cet article d’opinion a été publié pour la première fois dans Newsweek.