Un activiste LGBTI ukrainien veut lever les obstacles à la santé malgré un conflit meurtrier

16 mai 2022 par Borys Grachov, coordinateur du Pôle parajuridique national ukrainien

J’avais imaginé que la Journée internationale de lutte contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie serait très différente cette année. En temps normal, la communauté LGBTI d’Ukraine (personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles, transgenres et intersexuées) utilise cette journée pour faire entendre sa voix, éduquer les gens sur ses priorités et plaider pour une meilleure protection de ses droits.

Cette année aurait peut-être été marquée par un évènement public devant notre parlement national à Kiev pour appeler les législateurs à adopter un projet de loi en attente, qui interdirait la discrimination basée sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre – l'une des choses pour lesquelles nous plaidons en priorité. L'invasion russe du 24 février a tout changé.

Je suis un activiste LGBTI ukrainien et coordinateur du Pôle parajuridique national soutenu par le Fonds mondial, un réseau parajuridique dirigé par la plus grande organisation LGBTI du pays, Alliance Global.

Les assistants juridiques pairs sont des membres de communautés exposées à un risque accru d'infection au VIH, comme les personnes LGBTI, les travailleurs et travailleuses du sexe et les personnes qui consomment des drogues. Ils sont formés pour aider leurs pairs à surmonter les situations de rejet social, de discrimination et autres violations des droits humains.

Borys Grachov et deux de ses collègues tiennent le drapeau parajuridique lors de la marche des fiertés (Gay Pride) de Kiev en septembre 2021.
Photo: National Paralegal Hub

Par exemple, si une femme transgenre signale qu'un agent de santé a fait des commentaires inappropriés sur son identité de genre, un assistant juridique pair peut rappeler à l’agent de santé son devoir de fournir des soins non stigmatisants ou demander à ses supérieurs ou aux autorités sanitaires de le faire. S’il y a des cas de harcèlement ou des attaques par un groupe nationaliste contre des personnes dans un club homosexuel, un assistant juridique pair peut travailler avec eux pour signaler l'incident à la police et faire un suivi pour que le groupe fasse l'objet d'une enquête.

Parce que nos 70 assistants juridiques pairs font partie de nos communautés, on leur fait davantage confiance qu’aux personnes extérieures à nos communautés. Ils nous permettent d’avoir des yeux et des oreilles sur le terrain et de savoir exactement quels sont les problèmes auxquels nos collectivités font face. Le réseau parajuridique permet également aux membres de la communauté de surmonter l'autostigmatisation et de devenir plus confiants dans la revendication de leurs droits. Le réseau nous a également servi de moyen de mobiliser la communauté pour des évènements publics – tels que les marches des fiertés (Gay Prides), dont le nombre a considérablement augmenté ces dernières années – et autour d'objectifs de plaidoyer, tels que des lois contre la discrimination.

Nous avons construit cette communauté en temps de paix, mais nous l'utilisons aujourd’hui pour répondre aux nouvelles demandes provoquées par la guerre. Malgré les combats en cours, la plupart des assistants juridiques continuent à collaborer activement avec leurs communautés, en les écoutant et en répondant à leurs besoins.

En mai 2021, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, des assistants juridiques ont organisé une manifestation au Parlement ukrainien et au bureau présidentiel de l’Ukraine pour réclamer la mise en vigueur de lois pour protéger la communauté LGBTI contre la discrimination.
Photo: National Paralegal Hub

Au cours des derniers mois, des assistants juridiques ont aidé des dizaines de personnes ayant perdu leur maison à trouver un refuge temporaire. Ils ont aidé les personnes coincées au milieu des hostilités à se mettre en sécurité. Ils ont porté assistance à des populations qui s'étaient installées dans d'autres régions du pays pour s'approvisionner en médicaments antirétroviraux, en prophylaxie pré-exposition (PrEP) – un médicament que les personnes à haut risque de contracter le VIH peuvent prendre pour se protéger – et en préservatifs. Les assistants juridiques continuent également à documenter les incidents qui ne sont pas liés au conflit, comme la violence basée sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre.

Bien que bon nombre des activités que nous avions prévues pour 2022 ne puissent pas se dérouler dans les conditions actuelles, nous continuons à travailler en étroite collaboration avec les agences gouvernementales ukrainiennes. Le médiateur ukrainien a publiquement condamné plusieurs incidents violents à l’encontre de membres de la communauté LGBTI, et le Bureau du Procureur a promis d’enquêter sur ces affaires.

Les 12 dernières semaines nous ont poussés au-delà de nos pires craintes. La communauté LGBTI en Ukraine et le réseau d’assistants juridiques pairs que je coordonne se sont montrés résilients et adaptables tout au long du conflit. Nous sommes convaincus que non seulement nous triompherons, mais aussi que nous en sortirons plus forts.

Borys Grachov est psychologue médical et journaliste. Il travaille sur des projets soutenus par le Fonds mondial depuis 2015. Il s’est d’abord concentré sur la prévention du VIH. Depuis 2018, il coordonne les activités du Pôle parajuridique national. De plus, il est actuellement chef médical dans une unité des forces armées ukrainiennes.