J’ai contracté le paludisme il y a des dizaines d’années, alors que j’étais encore une jeune fille, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Le corps affaibli, je ne pouvais plus me nourrir, ni dormir, ni aller à l’école. La maladie ayant emporté plusieurs de mes amies, j’étais terrifiée à l’idée de mourir. J’ai survécu, car j’ai eu de la chance : des femmes fortes et compétentes m’ont prise sous leurs ailes et ramenée à la santé.
Encore aujourd’hui, les communautés payent un lourd tribut au paludisme, et les femmes et les filles en versent une part excessive. Le paludisme, une maladie pourtant évitable et traitable, compte parmi les premières causes de décès chez les adolescentes dans le monde. Il tue un enfant chaque minute.
Mais les femmes et les filles ne sont pas que des patientes ; elles sont aussi des prestataires de soins de santé et, souvent, les premières soignantes. Lorsqu’un membre de la famille tombe malade, ce sont les femmes et les filles qui restent à la maison pour en prendre soin, s’absentant du travail ou de l’école et essuyant des pertes de revenu et de productivité se comptant en milliards de livres chaque année.
Des progrès énormes ont été accomplis dans la lutte contre le paludisme ces dernières années. Je suis convaincue qu’il est possible de vaincre cette maladie en une génération. Nous y arriverons seulement si nous tirons profit des occasions qui se présentent et si nous investissons dans des initiatives qui laissent les femmes et les filles jouer un rôle prépondérant. Il en va de la vie et des moyens de subsistance de millions de personnes.
Cette semaine, des dirigeants du monde entier participent au Sommet de Kigali sur le paludisme et les maladies tropicales négligées, en marge de la Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth. C’est l’occasion pour les dirigeants de prendre des décisions cruciales sur les orientations qu’ils donneront à leurs investissements afin d’obtenir un impact maximal sur la sécurité sanitaire. Certains enjeux sont prioritaires, et j’espère qu’ils figurent en tête de l’ordre du jour.
Premièrement, il faut entièrement reconstituer les ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, une organisation internationale d’une extraordinaire efficacité fondée il y a vingt ans pour mettre fin à ces trois maladies. Les investissements en faveur du Fonds mondial demeurent à ce jour l’un des meilleurs moyens d’accélérer le progrès vers l’élimination du paludisme. Au cours des vingt dernières années, le Fonds mondial a contribué à la prévention de 10,6 millions de décès imputables au paludisme et de plus de 1,7 milliard de cas.
Lever les obstacles liés au genre et aux droits humains fait partie intégrante du travail du Fonds mondial. Par ses programmes, l’organisation aide les femmes et les filles à accéder aux services de santé et leur ouvre des portes vers des rôles de direction.
Le Fonds mondial doit lever au moins 18 milliards de dollars afin de poursuivre son œuvre au cours des trois prochaines années. Cette somme lui permettrait de sauver 20 millions de vies supplémentaires et d’éviter plus de 450 millions d’infections – tout en faisant progresser l’égalité de genre.
Deuxièmement, il faut investir dans la formation afin de multiplier le nombre d’agents de santé communautaires. À l’échelle mondiale, 70 % des agents de santé communautaires sont des femmes. Ce sont elles qui assurent la première ligne de défense vitale contre les menaces pour la santé publique, comme le COVID-19, en particulier dans les communautés isolées.
Reconnaissant l’importance majeure des agents de santé communautaires, le Fonds mondial a financé la formation de plus de deux millions d’entre eux dans les pays où il investit. Ces personnes compétentes sont indispensables à la prévention, à la détection et à la surveillance non seulement du paludisme, mais aussi d’autres maladies – de ce fait, elles constituent un maillon essentiel de la prévention des pandémies.
Troisièmement, les responsables des programmes de lutte contre le paludisme ont besoin de données complètes pour prendre des décisions éclairées sur l’affectation des ressources en vue de réduire l’incidence du paludisme. À l’heure actuelle, les données ne sont pas ventilées par genre ou par âge. Il est difficile dans ces conditions de cerner l’impact de la maladie sur les femmes et les filles et de trouver des moyens efficaces d’améliorer leur accès à des interventions qui pourraient leur sauver la vie.
Le Fonds mondial collabore avec les pays dans lesquels il investit pour recueillir ces données au moyen de systèmes comme l’outil Malaria Matchbox, qui évalue l’équité des services existants de lutte contre le paludisme. Aujourd’hui, plus de 50 % des pays qui collaborent avec le Fonds mondial fournissent des données entièrement ventilées par genre et par âge. Ces données permettent de mieux cerner les inégalités de genre et d’étayer avec des données probantes l’élaboration des programmes, le financement et la prise de décisions sur les politiques.
Alors que des dirigeants du monde entier se réunissent, profitons de l’occasion pour catalyser un véritable changement.
Je ne cesserai mon combat que le jour où les femmes, les jeunes filles et les familles auront cessé de vivre dans la crainte d’être emportées par cette maladie évitable et traitable. Il n’y a pas de temps à perdre. Investissons dans ce qui compte pour la santé et la sécurité de toutes et de tous.
Cette tribune est d’abord parue dans Jeune Afrique.