Dans ma vie, j’ai atteint de nombreux objectifs qui me remplissent de fierté. En tant que militant international d’Aidsfonds aux Pays-Bas, je promeus les activités du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Je m’investis en politique, principalement en défendant les intérêts de la communauté LGBTQ+ et en luttant contre la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH.
Cependant, l’un des accomplissements dont je suis le plus fier, c’est d’être un travailleur du sexe et un défenseur de mes homologues masculins et féminins. Je suis travailleur du sexe depuis plus de dix ans.
Au début, je n’étais pas à l’aise avec cette idée, en raison de mes aspirations politiques. Je craignais aussi les conséquences négatives du commerce sexuel, en particulier les problèmes de sécurité et les risques d’infections sexuellement transmissibles. J’ai donc renoncé à ce projet. Plus tard, je me suis demandé si j’avais pris la bonne décision, car je voulais voyager et je gagnais alors très peu d’argent. En outre, je suis devenu plus réceptif à la liberté sexuelle et au rejet de la monogamie.
J’étais extrêmement nerveux quand j’ai rencontré mon premier client, surtout à cause des notions sociétales liées à la sécurité et au commerce sexuel. Toutefois, je me suis vite rendu compte que mon client était encore plus nerveux que moi, en particulier parce qu’il avait épousé une femme et qu’il n’assumait pas sa sexualité. J’ai compris que les clients aussi avaient des vulnérabilités. Cela m’a rappelé mon histoire et, à partir de ce moment-là, je me suis senti beaucoup plus à l’aise avec le commerce sexuel. Il est intéressant d’observer que certaines personnes vous confient des secrets sexuels qu’elles ne peuvent partager qu’avec un travailleur du sexe. Cela vous donne un aperçu unique de la vie et des secrets sexuels des gens, ce qui me captive depuis toujours.
Mais le commerce sexuel peut aussi être dangereux pour celles et ceux qui le pratiquent dans des pays où il est jugé illégal. Il est alors plus difficile d’être protégé ou de s’adresser aux autorités en cas d’agression. Beaucoup de travailleurs du sexe étant des femmes et des membres de la communauté LGBTQ+, la criminalisation du commerce sexuel accroît les inégalités à l’égard de ces populations et accentue le rejet social lié au VIH.
Des organisations comme le Fonds mondial adaptent leurs services aux besoins spécifiques de ces populations. Les populations clés participent à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des services de santé, ainsi qu’aux décisions politiques qui les concernent. Dans le cadre de l’initiative « Lever les obstacles » [ télécharger en English | Español | Français | Português | Русский ] , le Fonds mondial soutient activement des pays pour intensifier des programmes fondés sur des données probantes visant à éliminer les obstacles liés aux droits humains qui entravent l’accès aux services de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.
Quand enfin je suis devenu travailleur du sexe, je me suis senti bridé car je redoutais les conséquences de ce choix sur ma future carrière et je craignais d’être rejeté. Cette dimension de rejet social joue un rôle très important. Lorsque vous êtes travailleur du sexe et séropositif au VIH de surcroît, vous pouvez le gérer, mais c’est très compliqué si personne dans votre entourage n’est au courant. En cas de problème ou si vous vous sentez déprimé, vous n’avez personne vers qui vous tourner.
À ce stade, je me suis dit que si je voulais briser cette stigmatisation, j’avais le devoir de briser le silence.
Les Pays-Bas font partie des rares pays au monde où les travailleuses et travailleurs du sexe ne risquent plus de transmettre le VIH, parce que le commerce sexuel y est légal. Dans toutes les grandes villes, des centres de santé spécialisés mènent des activités de proximité auprès des travailleuses et travailleurs du sexe, en leur proposant des tests de dépistage et des traitements gratuits et en les informant sans les stigmatiser.
Les inégalités freinent la lutte contre le sida. D’après un rapport de l’ONUSIDA, pour les travailleuses et travailleurs du sexe, le risque de vivre avec le VIH est sept fois plus élevé dans les pays où le commerce sexuel est criminalisé que dans ceux où il est légalisé.
En 2003, la Nouvelle-Zélande a décriminalisé le commerce sexuel et commencé à réglementer ce secteur. En cinq ans, le nombre de travailleuses et travailleurs du sexe n’a pas augmenté, mais leur sécurité s’est améliorée puisqu’ils peuvent refuser certains clients et qu’ils font aussi davantage confiance à la police. La Belgique a décidé de transposer le modèle néo-zélandais cette année. D’autres pays, comme l’Afrique du Sud, ont proposé un projet de loi visant à décriminaliser le commerce sexuel et, il y a quelques mois, l’Inde a publié des directives pour inscrire dans sa constitution la protection du bien-être et des droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs du sexe.
Même aux Pays-Bas, où le commerce sexuel est légal, certains de mes collègues sont encore victimes de stigmatisation lorsqu’ils rencontrent des professionnels de santé ; ils hésitent alors à révéler leur profession, qui est pourtant une information très importante dans le cadre des évaluations médicales.
Quand des mesures de décriminalisation sont mises en œuvre, il est primordial que les centres spécialisés disposent d’un personnel formé aux interactions avec les travailleuses et travailleurs du sexe, mais des structures de ce type ne peuvent exister que si les professionnels du sexe ne sont pas considérés comme des criminels ; sinon, solliciter un traitement médical est perçu comme risqué.
Certains médecins et travailleurs sociaux spécialisés savent très bien communiquer avec les travailleuses et travailleurs du sexe. Les Pays-Bas proposent un large soutien, beaucoup de tests de dépistage et d’informations. Nous prouvons qu’un pays peut faire baisser le taux de VIH chez les travailleuses et travailleurs du sexe, à condition de décriminaliser le commerce sexuel et de fournir des services de santé de qualité et inclusifs.
Je considère qu’être travailleuse ou travailleur du sexe est un droit humain absolu. Et dans ce contexte, il est vital d’avoir accès aux établissements de santé et aux services de lutte contre le VIH. Ces avantages ne peuvent être obtenus qu’en protégeant la sécurité et les droits humains des personnes marginalisées.
La pandémie qui nous a frappés ces dernières années a mis en évidence les fortes inégalités en matière de soins de santé pour les personnes marginalisées. Combattre ces inégalités mondiales peut contribuer à remettre sur les rails la lutte contre des épidémies comme celle du sida. Je formule le souhait que cette année, à l’occasion de la Journée des droits de l’homme, les gouvernements mettent l’accent sur l’égalité d’accès aux services de santé pour les populations clés et vulnérables et, concernant le VIH, sur la création d’un environnement qui favorisera le dépistage, le soutien et la sensibilisation de ces populations. Aucun humain ne devrait se sentir stressé ou incapable d’accéder à une aide médicale en raison d’une stigmatisation injuste et de la honte associées à son activité professionnelle.